Le goût de la trahison...

[hj : Alerte au roman...]

« La trahison laisse toujours un goût amer dans la bouche. C’est pire encore quand cette trahison vient de votre propre frère. »

Xeora s’approcha de l’immense baie vitrée qui donnait sur la ville. Elle n’avait rien encore de la grande cité qui l’a vu naître, mais elle grouillait déjà d’une activité frénétique. On sentait l’urgence dans chaque décision qui était prise. On visait l’efficacité dans toutes les tâches entreprises comme s’il n’y avait pas une seule minute à perdre. Malgré le calme apparent de Xeora, son esprit bouillonnait et son regard suivait avec intérêt les chargements de ressources qui allaient et venaient. Pour l’instant, les choses allaient bien, mais Xeora connaissait mieux que quiconque la précarité de sa situation.

Elle délaissa son point d’observation pour retourner à son bureau. C’est d’ici qu’elle prenait les décisions. Un puissant ordinateur crachait des données en continu. Un coup d’œil rapide et la jeune femme sait exactement où en était Pandaros. Dire qu’à une certaine époque, sa place n’était pas dans une tour de verre comme celle-ci, mais à la tête d’une puissante flotte de vaisseaux. Second enfant du grand empereur Jeffry à la tête de l’empire Ostrien dont le cœur était Iapetus une cité dont la magnificence faisait l’envie de plusieurs, Xeora avait été élevé dans l’optique de prendre en charge l’armée impériale et ainsi travailler en étroite collaboration avec son frère ainé Jamy. C’était l’idée de leur père. Ayant une famille nombreuse, il avait pensé qu’en destinant chacun de ses enfants à une tâche bien précise, il n’y aurait aucune compétition entre eux et travailleraient tous ensemble dans une parfaite harmonie. Ainsi, Jamy devait prendre la tête de l’empire à son décès, Xeora devait être à la tête de l’armée et les autres enfants se voyaient destiner aux postes haut gradé dans les fonctions scientifiques, culturelles et même religieuses. L’idée n’était pas mauvaise, mais c’est mal comprendre toute la complexité de l’esprit humain.

« J’ai toujours eu de l’admiration pour mon frère. Il est beau et charismatique alors que je suis froide et dure comme la roche. J’aurai été fière de travailler sous ses ordres, mais voilà… Il ne voulait pas de nous dans son entourage… »

Ce jour-là, toute la famille impériale devait se rendre pour une simple visite diplomatique. Question de sécurité, plusieurs vaisseaux devaient les transporter en empruntant des routes différentes. C’est Xeora elle-même qui avait décidé des itinéraires et elle les avait fait approuver par son père, mais aussi par son frère. Elle devait être du voyage, mais une urgence de dernière minute la força à se rendre aux limites de l’empire pour une histoire d’attaque de pirates. Ces derniers étant de plus en plus aventureux, Xeora avait maintenant l’occasion de s’en débarrasser définitivement. Cet imprévu devait lui sauver la vie…

« Ces pirates m’ont sauvé la vie ce jour-là. Je ne sais pas encore si je dois leur en être reconnaissante… »

La nouvelle lui vint dans une transmission envoyée par son père, le seul à savoir que Xeora avait été victime d’un empêchement. C’était une courte transmission vidéo.

« Le vaisseau est attaqué! Eos XZ3-4G98… »

La transmission s’arrêtait là. Xeora venait de voir son père mourir devant ses yeux. Les autres navettes avaient également été victime de la même embuscade. Sa famille avait été décimée en l’espace de quelques heures. Elle était la seule survivante. A cet instant, elle ne savait pas que son frère ainé, tout comme elle, n’avait pas fait le voyage comme prévu. Xeora devait retourner à Iapetus… Elle était l’impératrice maintenant et cette perspective lui nouait le ventre d’angoisse malgré un sang-froid apparent. C’est à son arrivée qu’elle constata que son frère Jamy était également en vie. Une surprise de taille qui la soulagea, mais qui insinua un doute dans son esprit. Le bonheur des retrouvailles n’était visiblement pas partagé, car son frère l’accueillit aussitôt en traitresse à son sang. Elle connaissait les routes empruntées par les vaisseaux, elle connaissait les horaires… Elle aurait pu préparer une embuscade pour prendre le titre convoité d’impératrice. Elle répliqua aussitôt que son frère était également au courant de tout cela et qu’il pouvait très bien avoir fait le coup! Malheureusement pour elle, seul son père savait la raison pour laquelle Xeora n’avait pas fait parti du voyage. De plus, son frère était aimé du peuple. Il était séduisant et avait un charme naturel que n’avait pas sa sœur. On la connaissait pour son sang froid redoutable et son esprit mathématique qui en faisait une tacticienne recherchée. Il est donc naturel que le peuple se soit tourné vers Jamy plutôt qu’elle.

« Le peuple m’appréciait, car je les protégeais des menaces extérieures. Maintenant, j’étais une menace… Il est si facile de passer de l'amour à la haine... »

Sur le point d’être emprisonné, un petit groupe fidèle à la jeune femme réussit à la faire s’évader. C’était le groupe qui l’avait accompagnée dans la mission contre les pirates. Ils connaissaient la vérité, mais même s’ils allaient témoigner, Jamy trouvera le moyen de convaincre les autres qu’ils ont inventé une histoire pour la protéger. Ils étaient un petit groupe dans un vaisseau endommagé contre un empire en entier. Xeora avait cependant l’avantage de connaître les moindres recoins de ce monde. Elle réussit à fuir. Elle ne savait pas où aller, mais elle ne pouvait rester là-bas.

Pendant tout le temps que dura sa fuite, elle regarda encore et encore la vidéo qui avait capturé les derniers instants de la vie de son père. Elle ne comprenait pas ce qu’il tentait de lui dire à la fin… Une série de lettres et de chiffres qui n’avaient pas le moindre sens. La perte affectait son esprit. Elle avait du mal à se concentrer, mais si elle voulait obtenir justice, elle devait comprendre.

Xeora voyagea le plus loin que pût la porter son vaisseau. Elle dut s’astreindre à une gymnastique diplomatique pour pouvoir s’installer dans un monde vierge et le coloniser. Elle choisit d’accueillir les parias, ceux dont personne ne voulait, mais qui avait pourtant la qualité d’être des survivants. Ce sont des hommes et des femmes forts et résistants dont il ne faut pas négliger la valeur. Voilà maintenant qu’elle construisait un monde à son image : un monde de guerriers, de survivants où chaque décision est d’une importance capitale. Xeora ne veut pas de la couronne impériale, elle veut la justice. Si elle doit mourir dans le processus, alors soit! Elle doit cependant se dresser contre un véritable colosse et jamais de sa vie elle ne s’est sentie aussi seule. Elle est dans un monde qui peut lui être hostile à tout moment. Qui sait si quelqu’un ne la reconnaîtra pas? Elle est très loin de chez elle, mais les nouvelles vont vite et même si ce n’est qu’une rumeur… Qui verra en elle la princesse de glace?

« Un jour viendra où je pourrai faire entendre ma voix… Je serais la voix des morts… ceux qui ne peuvent plus se défendre. Tu as versé ton propre sang Jamy. Comment as-tu osé? »

Malgré les risques que ça représentait, Xeora devait prendre sa place dans ce Nouveau Monde. Elle devait faire des alliances, se plier au jeu de la politique. Si elle pouvait conclure des alliances fructueuses, peut-être que le jour de la vengeance viendra plus vite que prévu.

Les rênes du pouvoir entre les mains de sa fille lui laissaient du temps libre, beaucoup, trop… Il s’ennuyait…


Dans son Bureau au mur recouvert de bois travaillé, chef d’œuvre d’ébénisterie, il était là, le bec de son narguilé dans une main, un journal dans l’autre, tuant le temps en lisant les dernières nouvelles. Certain, n’étant pas aux faits des habitudes du vice-roi des Eldars, auraient sans doute trouvé la scène décrite ici comme un rêve, vision d’un âge aujourd’hui révolu. Qui, de nos jours, consulte encore les nouvelles sur un journal de papier ? C’était une des nombreuses exigences de l’étrange personnage qui nous intéresse ici, refusant le progrès diront certains, aimant simplement le contact du papier en vérité.

Tout à sa lecture, il se redressa, subitement intéressé par un article dont le titre venait de capter son attention…

Le goût de la trahison...

Il dévora la nouvelle, l’expression de son visage passant de la colère a la tristesse, pour, finalement, se figé sur un regard empli de nostalgie et de regret…

Cette histoire avait fait remonter en lui la colère, cette haine tintée de mépris qu’engendrât Damzi, traitre innommable dont la fourberie avait rarement été égalée, lui qui, de par le jeu des influences et des doubles jeux, avait causé la chute des SIX, en d’autres temps certes, en d’autres lieux, mais la douleur, elle, était toujours bien présente et vivace…


Se levant, il dit à haute voix :

-Cet appel ne restera pas sans réponse !


Quelques jours plus tard, un message, en provenance du Faucon Vigilant, parvenait aux autorités de Pandaros, et, chose rare, il était signé de la main même de Brynjaleifre…