Bonne lecture.[/HRP]
Le bureau de l'Ambassadrice Alussen, émissaire de la Confédération Stellaire Batuléenne, n'était pas particulièrement spacieux, chose peu étonnante compte tenu du fait qu'il se situait à bord d'une station spatiale, mais il restait agréablement confortable. Le grand meuble en bois massif ainsi que les trois fauteuils en cuir véritable – dont un était réservé à l'Ambassadrice – contribuaient à donner une ambiance accueillante, quoiqu'un peu ancienne, à la pièce. Au fond de celle-ci, à l'opposée de l'entrée, se trouvait une porte donnant sur une sorte de petit salon privé dans lequel la diplomate pouvait recevoir des invités dans un cadre un peu moins formel ou, comme c'était alors le cas, se reposer quelques instants après une dure période de travail.
Allongée sur l'un des canapés, elle massait ses tempes douloureuses, tentant d'éradiquer la migraine qui s'était insidieusement emparée de son crâne au cours de la matinée. Matinée était, bien entendu, un mot à prendre avec des pincettes dans la mesure où il n'y avait ni matin ni nuit à bord de la Station Exorde – anciennement appelée Station Unité – mais cette dernière utilisait l'heure du Méridien de Karelkohn afin de ne pas perturber les voyageurs non coutumiers des stations spatiales. Devant le canapé, sur une table basse, était posée une tasse de thé laissant échapper de petites volutes de vapeur. L'Ambassadrice s'apprêtait à la saisir pour siroter une gorgée du chaud breuvage ambré lorsque l'interphone sur son bureau retentit. Avec regret, elle reposa la tasse et se leva péniblement pour aller répondre :
« C'est à quel sujet ?
- Falkor Kahbrim, lui répondit une voix masculine, nous avions rendez-vous ; au sujet du Millénaire.
- Pardonnez-moi, s'excusa l'Ambassadrice tout en ouvrant la porte d'une pression sur un bouton. Entrez, je vous en prie. »
L'entrée s'était ouverte, révélant un homme de taille plutôt moyenne. Sa peau était claire, comme on pouvait s'y attendre pour un citoyen de la Nation Obscurcie, et contrastait avec ses cheveux noirs coupés assez court. Il s'avança d'une démarche sûre vers l'un des fauteuils réservés aux invités.
« Je vous en prie, asseyez-vous, l'invita l'Ambassadrice en constatant qu'il restait debout à côté du siège. Encore une fois, veuillez m'excuser. J'avoue avoir eu une dure matinée, et ce rendez-vous m'était quelque peu sorti de la tête.
- Aucun problème, répondit son interlocuteur avec un sourire, j'imagine que ça peut arriver à tout le monde. »
Il s'installa au creux du fauteuil et constata :
« Confortables, vos fauteuils.
- Merci. Mais, je vous en prie, expliquez-moi plus en détail la raison de votre venue.
- Je suppose que vous avez connaissance du projet, demanda l'Obscurci. Au moins dans les grandes lignes ?
- Évidemment, répondit l'Ambassadrice, ça fait des années que c'est évoqué.
- En effet. Seulement, nous avons enfin des informations et des projets concrets. J'ai amené quelques dossiers avec moi, reprit l'homme en sortant divers papiers de la sacoche qui traînait aux pieds de son fauteuil. Vous y trouverez toutes sortes d'informations : programme prévu, déploiement des forces de sécurité, mesures de sécurité à appliquer, ce genre de choses.
- Je m’attellerai à la lecture de tout ça le plus rapidement possible, promit-elle alors que l'homme déposait la pile de dossiers sur son bureau. Mais je suppose que vous n'êtes pas venu simplement pour me remettre des papiers ?
- Excellente remarque, Ambassadrice. Tout d'abord, vous devez savoir que le programme proposé est le pur fruit de mon équipe et moi-même. Nous aimerions donc avoir votre avis sur les propositions qu'il contient. Si vous pensez qu'il sera approuvé par votre gouvernement, nous aimerions obtenir votre accord officiel. J'ajoute que toute proposition à laquelle nous n'aurions pas songé est la bienvenue. »
Voyant l'Ambassadrice approuver d'un signe de tête, il reprit :
« Ensuite, je dois vous dire que je ne suis que moyennement à l'aise à l'idée d'être le seul responsable de l'organisation de l'événement. En plus, nos gouvernements respectifs ont insisté sur le fait qu'il serait préférable d'avoir une supervision Batuléenne, et pour être honnête, vous me semblez la mieux placée pour ça. Imaginez : nous organiserons le plus grand rassemblement depuis plusieurs décennies ! Des délégations venues des quatre coins d'Aelden, réunies sur Érigia !
- Je dois admettre que l'idée est attirante, lui répondit l'Ambassadrice en levant les yeux au plafond, se perdant dans ses pensées. Attirante, c'est le mot, et il faudrait être idiot pour refuser, ce que je ne suis pas, j'ose l'espérer.
- Je peux donc compter sur votre aide ?
- Avec grand plaisir. Je préviendrai mon gouvernement de ma participation active à l'organisation de l'événement, afin qu'ils ne s'imaginent pas que seule la Nation Obscurcie aura son mot à dire. Et je m'attaquerai à la lecture de ces documents le plus rapidement possible, croyez-m… »
Sa phrase avait été interrompue par la sonnerie de l'I.M. - Interface Mobile – de l'Obscurci. Celui-ci, s'excusant auprès de son interlocutrice, parcourut des yeux le message qui venait de lui parvenir.
« Quelle bande de rats, lâcha-t-il entre ses dents.
- Un problème ? Interrogea l'Ambassadrice.
- Plutôt, oui, lui répondit l'Obscurci, visiblement énervé. Ces abrutis de la Guilde des Marchants Indépendants réclament une entrevue immédiate avec la personne responsable de la mise en place des nouvelles normes de sécurité. C'est à dire moi.
- Ah, ça… Ces marchands sont loin d'être les derniers à râler, croyez-en mon expérience.
- Je vous crois sur parole, lui assura l'homme un peu découragé alors qu'il quittait à contrecœur la douceur du fauteuil confortable. Il me semble que cet événement doit mettre fin prématurément à notre entretien. J'espère que nous pourrons nous revoir plus tard dans la journée.
- Avec plaisir, rétorqua l'Ambassadrice. Je n'ai pas de rendez-vous prévu aujourd'hui. Et voyez le bon côté des choses : votre entrevue avec les marchands devrait me laisser le temps de me mettre au courant de ce que vous avez fait.
- Effectivement, conclut le responsable en se dirigeant vers la porte. Je vous reverrai donc plus tard. Bonne lecture. »
Sur ces mots, il quitta la pièce, presque précipitamment, et se mit rapidement en marche vers l'un des nombreux locaux réservés aux négociations des marchands. Refermant la porte après son départ, l'Ambassadrice attrapa les dossiers et les amena avec elle dans l'arrière-pièce. Elle vida d'une traite la tasse de thé tout juste tiède et attrapa le premier dossier de la pile, intitulé Nouvelles normes de sécurité – Station Exorde. La lecture fut bien moins pénible que ce qu'elle s'était imaginée, principalement grâce à la disparition rapide de sa migraine sous le coup de l'excitation.
Absorbée par la lecture, elle se saisit rapidement d'un second dossier, dont le titre était Programme des festivité, puis d'un troisième noté Effectifs policiers et militaire – Affectations et déploiements, qu'elle n'eut cependant pas le temps de terminer, tirée de son activité par le bruit retentissant de l'interphone. S'installant derrière son bureau, elle ouvrit la communication :
« Ambassadrice Alussen.
- Falkor Kahbrim. J'ai enfin réussi à me débarrasser de ces enquiquineurs. »
La porte s'ouvrit une fois encore, alors que la diplomate Batuléenne jetait un œil à l'heure qu'il était, constatant qu'il s'était écoulé presque deux heures depuis le rendez-vous. L'homme vint s'installer dans le fauteuil qu'il avait occupé plus tôt et, cette fois-ci, il n'attendit pas l'invitation de l'Ambassadrice pour s'asseoir, ce qui ne semblait pas déranger cette dernière le moins du monde.
« J'ai bien cru que ça n'allait jamais finir, soupira-t-il en s'enfonçant dans le siège douillet.
- Alors, comment s'est passée votre… réunion ? S'enquit la diplomate.
- Je pense que 'mal' est une bonne réponse. Ils ont passé leur temps à répéter que les nouvelles normes de sécurité sont insensées, intolérables, que ça va détruire tous leurs bénéfices.
- Pour avoir lu les normes en question, on ne peut pas leur donner entièrement tort. Scan minutieux de tous les vaisseaux accompagnée d'une fouille complète, vitesse maximale extrêmement réduite, espace minimum entre deux vaisseau augmenté… Plutôt drastiques comme mesures, non ?
- Drastiques, mais nécessaires, répondit calmement l'Obscurci. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre des demi-mesures : nous allons accueillir des gens très haut placés, il ne faut prendre aucun risque.
- Je suis tout à fait d'accord avec vous, poursuivit l'Ambassadrice, mais n'oubliez pas qu'à l'heure actuelle, aucune annonce n'a été faite. Pour tous ces gens, ces nouvelles normes de sécurité n'ont aucune raison d'être, et elles semblent certainement très exagérées.
- C'est vrai, admit son interlocuteur. Cela dit, j'ai réussi à les calmer en leur expliquant que ces mesures n'étaient que temporaires. Sans parler du fait que la raison officielle devrait être dévoilée rapidement.
- En parlant de ça, je pense que notre service diplomatique pourrait se charger de l'écriture et de l'envoi des invitations.
- C'est une bonne idée, approuva l'Obscurci. Et avez-vous eu le temps de jeter un œil au programme ? »
L'Ambassadrice approuva et profita de l'occasion pour exposer ses propres idées sur le programme des festivités. Finalement, les deux organisateurs finirent par mettre au point un nouveau programme, jugé bien plus que satisfaisant par chacun. La diplomate Batuléenne promit de faire écrire et envoyer les invitations au service approprié de la Confédération. Le programme était fixé, et les invitations ne tarderaient pas à être envoyées. Restait maintenant la partie la plus difficile : organiser l'événement en lui-même, et parvenir à tout préparer pour que les célébrations soient une réussite.