Les Domaines d'Ossus ont une histoire ambiguë. Leur comportement est sans doute un des seuls du genre. Alors que cette nation paraît somme toute grande, influente, glorieuse et rayonnante, elle semble cependant se cristalliser dans le flot glacé du temps. Aussi il me parait important de montrer à l'univers ce qu'est réellement cette véritable entité historique, aussi vieille que le thon à l'huile mais ô combien plus intéressante.
Les Domaines d'Ossus sont très anciens. Leur histoire elle-même se perd dans les récits entre contes et légendes, tandis que la nation elle-même devient un mythe pour son peuple et le peuple, un mythe pour la nation. Comme toute nation ancienne les Domaines ont de vieux amis, de vieux contacts parfois atypiques, de vieux problèmes et bien sûr, de vieux ennemis.
Avec l'autorisation du Haut Conseil j'ai rassemblé des extraits d'une quantité immense d'ouvrages, d'archives, de déclarations compulsées dans les immenses archives des Domaines. Découvrez ce qu'est cette nation. Boite à idées ? Fantasme ? Reste de temps révolus ? Ou au contraire l'annonce de ce que sera un futur très lointain. A moins que les Domaines d'Ossus ne soient simplement hors du temps et qu'ils ne portent au final qu'un intérêt mitigé à ce dernier.
Samir Vosniak, Professeur en Sciences Historiques.
Il est des choses que l'on ne peut dire avec des mots.
Il est des choses que l'on ne peut dire avec des phrases.
Il est des choses que l'on ne peut dire avec des textes.
Mémoires d'Aeon II, cette vie et mes échecs.
Archives du projet Nastresis :
Rapport 1 :
Un rapport de recherche d'une équipe des Domaines d'Ossus.
L'idée est simple : envoyer des droïdes combattre à notre place en Dareyn et laisser ces droïdes être coordonnés par une IA. Pour ce faire, le Haut Conseil nous a attribué un secteur dans la région d'Ontio, constellation Khonkankhon. Au départ l'IA, que nous avons appelée Nastresis en l'honneur d'un vaisseau fantôme mythique datant d'avant l'unification des Domaines d'Ossus, ne disposait que de cent-vingt-cinq Bases Spatiales, de deux mille petits transporteurs et enfin, d'une défense indépendante.
[...]
Cette défense est "branchée" sur un réseau indépendant obéissant à des protocoles de combat simples qui ressemblent à s'y tromper à une position fortifiée de manière optimale. La seule nuance est que ces défenses peuvent à tout moment se retourner contre Nastresis, et neutraliser l'IA... si jamais les choses tournent mal.
[...]
Nastresis est une IA simple. En fait, c'est la seule que nous ayons jamais faite de ce type là. Elle n'a pas vraiment de connaissances avancées implantées dans son "cerveau". Elle a uniquement des impératifs à remplir et des règles à respecter. Aussi, Nastresis peut apprendre comme toutes nos IA, mais nous avons fait en sorte que cet apprentissage soit particulièrement intuitif, rapide... et horriblement détaché de toute forme de morale et de toute contrainte de cet ordre.
Bien que l'expérience ait à peine commencé, elle donne déjà des résultats excellents ! Nastresis a récolté les champs de ruines présents dans son système solaire et a construit des sondes d'espionnage. Une fois cela fait, elle a cherché une cible facile et elle l'a trouvée avec une rapidité déconcertante ! Elle a ensuite envoyé des transporteurs sur place, comme en attestent ces rapports de combats.
http://www.celestus.fr/CelestusV2/RC/Un ... k4afzo.htm
http://www.celestus.fr/CelestusV2/RC/Un ... 2s58dq.htm
http://www.celestus.fr/CelestusV2/RC/Un ... rk087m.htm
http://www.celestus.fr/CelestusV2/RC/Un ... 2rsg9z.htm
http://www.celestus.fr/CelestusV2/RC/Un ... a30qey.htm
http://www.celestus.fr/CelestusV2/RC/Un ... wmert5.htm
Pour ce qui est du la survie en milieu hostile, c'est un excellent début. Nous avons contacté le gouverneur Zetran pour lui expliquer ce qui lui arrivait. Nous imaginons quelle fut pour lui la surprise de tomber sur des petits transporteurs sans escorte.
Quoi qu'il en soit, l'IA "test" qu'est Nastresis ne peut construire que des vaisseaux rudimentaires, ce qui évitera de rendre la situation incontrôlable.
[...]
En ce qui concerne les objectifs de cette expérience : Nastresis va devoir construire une flotte prédéfinie, et attaquer une position prédéfinie. [...] Elle est libre de modifier ses vaisseaux à loisir, et de modifier ses impératifs, du moment que le critère de ces objectifs est toujours respecté.
Cette expérience est peut être la clef de la victoire ! Nos alliés du Saint Empire de Celestia nous ont déclaré qu'au final, notre plus grande faiblesse (mais aussi notre plus grande force) est que nous ne sommes que des hommes. Nous pouvons être fatigués, paniqués... mais une IA détachée de toute contrainte, ayant juste quelques objectifs et obligations primaires, sera bien plus efficace. Cependant, même si cette IA est dotée des Trois Lois de la Robotique en ce qui concerne notre nation, elles sont nettement plus nuancées. Pillage et attaques autorisées. De plus, son intelligence est pour le moment très limitée. Elle considère certaines cibles que nous avons pré-définies comme étant Cetyn, et le reste des colonies et secteurs est considéré comme "paramètre extérieur". En d'autres termes, ce sont des mondes à l'abandon, récoltés et exploités par automatisation et robots.
Nous avons programmé Nastresis pour qu'elle ne tienne pas compte de ces "paramètres extérieurs". En d'autres termes : Pour elle, elle est en Dareyn. Ontio est Dareyn, elle ne peut en sortir. Des secteurs et colonies fantômes sont présents, sombres restes d'épiques luttes menés par leurs maîtres contre un tout aussi sombre ennemi. Nastresis semble penser que Cetyn n'est pas encore sur place, et qu'elle ne fait que prendre des ressources sur des positions "mortes". Mais elle pense également que Cetyn ne tardera pas à la trouver, cette idée la maintient extrêmement vigilante.
Bien sûr, les IAs finales ne seront pas aussi obtuses et auront accès à toutes les informations disponibles. Leur efficacité n'en sera que renforcée, et puis... elle ne pourront pas servir de "bois de chauffage" comme disent certains, en désignant les hommes pucés qui sont utilisés par les Cetyns.
Nous espérons que le Haut Conseil acceptera que l'expérience puisse arriver à son terme, et continuera de nous allouer des fonds. Nous sommes sur le chemin de découvertes essentielles.
1er rapport officieux sur le projet Nastresis du Dr Hans Etraos, transmis le 19 Pookahn(8) de l'an 16.002 TSU au Bureau des Recherches.
Rapport 2 :
Un rapport de recherche d'une équipe des Domaines d'Ossus.
Voilà trois ans que le projet Nastresis a débuté. Voici donc un rapport pour rapporter les avancées du projet. Si notre équipe ne s'est pas donné la peine, durant ces trois années, pour écrire un rapport officieux qui aurait pu syntaxiser nos données, c'est parce que le temps nous manquait horriblement. Nastresis est une IA véritablement extraordinaire et nous avons eu beaucoup de travail. Et beaucoup est un mot faible.
En effet : en un an elle a réussi à satisfaire tous ses besoins essentiels en main-d’œuvre et en énergie avec des usines de droïdes et des centrales géothermiques colossales. En deux ans, elle a accompli quatre-vingt pour cent des objectifs préliminaires de construction de flotte. Et en cette troisième année, Nastresis a accompli ses objectifs à cent pour cent !
Tout d'abord, Nastresis s'est comportée de façon exemplaire pour n'importe quel amiral. Ses actions d'espionnage, ses actions de pillage rudimentaires et enfantines, ses récoltes de champs de ruines en des temps limités avec des moyens très limités et une efficacité au-delà de ce qui est humainement possible nous ont tous surpris. Nastresis a repris le mode de fonctionnement des pirates, qu'elle a d’ailleurs rencontrés, et elle a très vite appris. Elle a même inclus des techniques d'Ophelia, des méthodes Melrehns, des principes Ducaux, et une froide esthétique Amaranths. Et tout ça de manière inconsciente. Comprenez qu'elle reproduit logiquement, naturellement même, des schémas que certains ont mis des siècles à perfectionner. C'est véritablement impressionnant.
Lorsque Nastresis nous a transféré ses résultats et qu'elle a demandé les ordres, nous ne nous attendions pas à ce qu'elle attaque la position "Alpha T-47" avec une telle violence. Elle a envoyé une flotte de seulement dix vaisseaux. Deux corvettes optimisés et huit intercepteurs trafiqués. La victoire fut totale et ce avec un seul intercepteur optimisé de perdu. Et de manière volontaire qui plus est. [...] Il est vrai que la défense n'était pas impénétrable. Mais anéantir une position somme toute bien défendue finalement avec si peu de moyens et un suicide martial, c'est tout de même pousser un peu loin.
Nous avons enfantés grâce à nos calcul rudimentaires et approximatifs, un monstre. Un horrible monstre méthodique. Mais ce qui est encore plus intéressant, c'est la finesse de ce monstre et ses méthodes. En effet, Nastresis joue sur seulement quatre vaisseaux pour ses attaques.
[...]
Ces vaisseaux se complètent tous parfaitement, et bien mieux que ne pourraient le faire n'importe quelle association de nos vaisseaux. De plus, ils n'ont aucun équipage à bord. Pas de droïdes. Le vaisseau est lui-même une IA, et Nastresis est comme une mère pour une horde d'enfants. Ces IAs sont comparables à des fourmis. Des fourmis diaboliques, avec un sens aiguë du sacrifice et du devoir. Elles ont de plus des "personnalités" et elle communiquent entre elles. On pourraient même dire qu'elles ont une "vie sociale". Elles vénèrent toutes, sans aucune exception leur mère comme une déesse. Sorte de culte de la personnalité robotique pour la créatrice de leur... "race".
Sont-elles dangereuses ? Non. En aucun cas. Ces machines sont certes dépourvues d'âme... alors que fait étrange, la première Lois qui stipule, je cite : "Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger." semble créer une affection et un amour assez approximatifs pour les "grands-parents lointains" que nous sommes.
Ainsi, nous observons des fourmis à tendance perfectionniste obsessionnelles et dotées d'une affection relative pour une sorte de "famille" de dieux créateurs, dont Nastresis serait la représentante.
Après ce qui est arrivé avec Ophelia... personne ne serait d'accord pour laisser des IAs comme celles-ci se développer en Dareyn. Mais relisons nos vieux manuels de robotiques et les géniales œuvres de notre regretté Ingénieur en Chef Asimov. Nous n'avons rien à craindre. Les Domaines d'Ossus utilisent les machines depuis des années et des années. Rien n'est jamais arrivé. Le seul incident notable... ne s'est en fait jamais produit.
Au final, l’expérience est un succès total, bien que les résultats soient totalement inattendus.
2e rapport officieux sur le projet Nastresis du Dr Hans Etraos, transmis le 17 Jileahn(5) de l'an 16.005 TSU au Bureau des Recherches.
Archives de Contes et légendes imaginaires du réel, rassemblées et adaptés par le Professeur Oldargue de Gorgostine.
I La clef de l’enfant perdu.
Il trottinait aux cotés de l'adulte, marchant comme lui sur un tapis rouge, qui traçait une route aussi irrémédiable que la destinée sur le plancher du couloir aux murs tapissés de velours. Il devait le suivre. Il voulait le suivre. L'homme, en costume avec chapeau haut de forme lui avait dit : « À partir de maintenant, tu ne connais plus ce lieu. Tu portes un nouveau nom. Tu t'appelleras Selim et tu vas me suivre. Tu sais que tu n'a pas d'autres choix. Cet endroit va s’effondrer comme tout le reste... ».
Alors, l'enfant marchait. Au loin, vibrant dans le couloir, un cri pathétique retentis. Un cris griffé par la folie, une folie profonde et meurtrière. Son père... L'enfant frémit.
Oui, il allait devoir suivre l'homme. Il le tirait de ce lieu macabre où les fantômes rodent... tels les messagers d'un sombre présent qui glissait lentement vers le passé. Lui, il partait. Il suivait le futur.
Ils arrivaient devant la porte. En la franchissant, l'enfant jeta un coup d’œil au laquais à coté de celle-ci. Il souriait. Alors l'enfant lui rendit son sourire. Un sentiment nouveau naquit en lui. Un sentiment qui le marquera à vie : l’espoir.
Puis, ce fut un voyage interminable. Il sembla à l'enfant qu'il dura des siècles. Dans les faits, il ne dura que quelques minutes. Mais pour la première fois, il découvrit le monde. Il lui tendait les bras derrières les vitres. Oui, désormais, son nom serait Selim. Il devrait tout découvrir et tout comprendre. Comprendre les Hommes... épier leurs secrets... oui, il avait fait son choix. Quatre ans plus tard, alors qu'il n’avait que vingt et une misérables années de vie... et que son expérience semblais bien mince, Selim devint Consul des tout nouveaux Domaines d'Ossus, attaché à l'espionnage.
Le coup d'état se fit sans bruit, sans résistance. Pas de sang ni de sueur. Pas même des larmes. Juste une sombre fatalité. Le système avait craqué comme une vieille planche pourrie et vermoulue. C’était inévitable, mais cela se fit dans l’indifférence général. Ce qui se passa après réveilla pourtant bien des esprits. Un immense séisme ébranla le peuple : cinq hommes, seuls, étaient au pouvoir. Ils furent les grands maçons de l’édifice Ossusiens.
Sa gloire ne brille pas. Elle n’irradie pas non plus. Mais elle sera éternelle, car les ténèbres le sont. Selim vit dans l'ombre, il s’efface devant sa gloire, laissant sa légende vivre, tandis que lui se meurt. Il se nourrit et se fascine pour le mystère qu'il est devenu... Selim est Consul des Domaines d'Ossus. Il ne vit que par et pour les mystères et afin d'être sûr de pouvoir toujours vivre, il en est devenu un.
La nuit, lorsqu'il regarde les étoiles, il rêve de s'y cacher et de regarder les secrets qu'il cherche tant à attraper... pour les domestiquer, les élever, puis s'en repaître.
II La clef de l'homme de fer.
En ce bas monde, on n'a jamais véritablement le choix. Il y a une entité qui régit toutes choses ici bas. La religion n'est qu'un commerce. Le commerce n'est qu'un échange entre un voleur, et un homme crédule. Ou entre voleurs... ou pire : entre hommes crédules. L'échange n'est que la concession d'un objet contre autre chose. Toute chose a la valeur qu'un homme est prêt à payer.
La guerre est donc un commerce. Un commerce effroyable qui fait jubiler les démons. Koutouzof le sait bien. Lui, il a donné sa jambe droite, ses illusions et des milliers d'hommes. Pourtant il tient toujours debout. La chair est faible, mais lorsque l'esprit est fort, la volonté remplace le talent. Et lorsque la volonté et le talent dans quelque domaine que ce soit existent, cela donne naissance à un homme de haute stature. Un homme de fer ? Possible.
Koutouzof a beaucoup donné, pour recevoir si peu en retour. C'est un militaire qui déteste la guerre. Mais il sait que s'il veut la paix, il doit se préparer au combat. Alors Koutouzof affûte son sabre, se sert de ses budgets pour construire des vaisseaux, ériger des défenses... qui attendent un ennemi qui ne viendra probablement jamais.
Koutouzof attend. Durant la nuit, il braque ses yeux vers le ciel, et regarde cet océan d'encre qu'est l'espace. Il regarde les étoiles qui clignotent, et il est heureux que le sang qui flotte là-bas, dans le vide sidéral, ne soit pas celui de son peuple. Mais d'un autre coté, il est pris dans un terrible dilemme : une vie en vaut une autre. Mais après ?
Quand il survient un accident et qu'il y a un mort, c'est affreux, c'est horrible. Les gens, pris d'hypocrisie, disent pardon, transmettent leurs condoléances. Mais dites leurs que chaque seconde, il y a probablement un million de personnes qui meurent de manière non naturelle... et ils s'en foutent. Ce n'est qu'une statistique. Koutouzof attend avec impatience son ennemi. Mais il ne se doute pas qu'il en combat un chaque nuit. C'est le sommeil. Il est tel une catin, il est cajoleur, il l'attire dans les draps du lit, puis, il se transforme en bourreau, le torturant de mille cris et hurlements.
Koutouzof est un militaire. Koutouzof a peur. Koutouzof fuit les étoiles, il ne croit qu'en la lune. Mais sait-il que c'est une étoile en vérité ?
III La clef du labeur irrationnel.
Susan Calvin est quelqu'un de profondément rationnel. Elle a été droite toute sa vie. Cultivant sa morale et son ardeur au travail avec rigueur et passion. C'est une bureaucrate, mais elle n'est pas coupée de la réalité. C'est une technocrate, mais elle est pourvue d'éthique et de morale.
En ce sens, Calvin n'est pas rationnelle.
Elle a toujours travaillé avec ardeur. Elle s'est toujours tenue droite. Mais Calvin, dans sa profonde envie d'aider les humains à s'améliorer, et donc à s'élever elle-même, en a oublié ce qu'elle était. Calvin aime les robots. Ils sont les humains idéals. Ils sont rationnels. Oui, Susan Calvin croit en un univers rationnel, qu'elle est capable de comprendre et qui comprend. Calvin est donc malheureuse.
Elle a toujours travaillé dur pour obtenir ce qu'elle voulait. Et elle a toujours obtenu ce qu'elle voulait. Pourtant, il y a une œuvre quelle n'arrive ni à comprendre, ni même à cerner, mais qu'elle veut profondément réussir. Mais même si elle se tue à la tâche, cela ne marche pas. Elle n'y arrive pas. Calvin veut une humanité rationnelle. Elle sait qu'elle n'y arrivera jamais, mais elle continue. Sachant cela, elle dépérit, mais elle continue.
Un jour, elle s'en est vraiment rendue compte, et elle s'est effondrée.
Pourquoi ? Son souhait est simple ! Elle ne demande rien d'extraordinaire... elle veut juste la logique. La logique du bien commun, pour le mieux être personnel ! Alors Calvin pleure.
La nuit, regardant les étoiles, elle se languit du pâle soleil qui a fui.
IV La clef de la compréhensions des âges.
Slarti Bartfast est quelqu'un. Il mesure un mètre soixante dix sept, pèse soixante-quinze kilogrammes, il a l’air presque famélique, mais c'est un bon vivant. Il aime les bonnes chose, mais il aime surtout les partager. C'est un érudit aussi. Fasciné par l'histoire, il est persuadé qu'un avenir radieux ne peut naître que dans la compréhension des erreurs du passé. Pourtant, il fuit le sien.
Oui, lui aussi a peur. Il regarde autour de lui et ne voit que les ténèbres. Il cherche vainement à discerner une lumière, mais rien. Juste l'ombre. Elle le suit partout. Alors il se réfugie dans un fantasme sarcastique.
Slarti Bartfast est fou. Il passe des heures à contempler l'océan, comme à la recherche d'un être perdu. Ses yeux se perdent dans les vagues. Le froid le dévore, mais il ne réagit pas. Slarti Bartfast est fou. Il regarde les vagues. Devant tant d'humidité, ses yeux deviennent sec. Le sel se répand, l'azote s'étale à ses pieds, mais l'oxygène le fuit. Un feu intense lui brûle les entrailles. Slarti Bartfast ne ferait pas de mal à une mouche. Mais en contemplant cet océan aride, une rage sourde l'habite. Une rage telle qu'elle le forcerait presque à étrangler qui oserait passer près de lui.
Devant les flots, Slarti Bartfast médite, et il laisse ses pensées vagabonder. Mais elles le noient dans un océan. Un océan de désespoir. Bartfast est mort le jour où son espoir a péri. Il n'est plus qu'un fantôme dans un corps qui n'est plus le sien. Ses larmes ne coulent plus. Elles n’existent plus. Il n'a plus la force d'en faire de nouvelles.
La nuit, lorsqu'il regarde les étoiles, Slarti Bartfast recherche un astre qui lui offrira l’espoir. Mais il le cherche sans y croire.
V
Il n'a jamais aimé rester en présence des autres trop longtemps. Il aime passer son temps en compagnie des livres... et des spectres fantasmagoriques de son passé.
Il est les vœux unis et similaires de ses quatre subornées. Comme eux, il souhaite, et espère un peu d’espoir. Comme eux, il se noie dans la vérité, parce qu'il recherche LA Vérité. Il est un fantasme vivant, peut être même une illusion collective générée par un peuple à bout de souffle. Bien des choses vont dans ce sens. Pas de visage, pas de nom, pas de proche... pas réel, inexistant ? On a pas besoin d'être réel pour exister.
Lui, il se se noie dans un océan d'encre. Il nage. Mais il n'a plus d'air. Il en cherche. Il cherche une bulle. Mais à force de la chercher, il fini par passer à coté. Il se transforme alors en larme, et se perd dans les flots impétueux, colériques, cyniques et surtout cruels.
Il dirige une nation. Il a un véritable pouvoir de vie ou de mort sur trois milliards de personnes. Il a plus de pouvoir qu'un monarque absolu ou qu'un Dieu sur ces gens. Mais il sait qu'il ne l'utilisera jamais. Car s'il utilise ce pouvoir, qu'il demande à ce peuple de s'élancer avec lui, au loin, sur les plaines éternelles du désespoir, et de quitter cette flaque de larmes froide qui entoure un misérable caillou... ce sera pour aller où ?
Ni boussole, ni objectif. Le lieu où il se trouve importe peu, ce qui compte c'est où il doit aller. Mais il sait seulement où il ne doit pas aller, lui et ceux dont il a la charge.
La nuit, lorsqu'il regarde les étoiles avec ses quatre compagnons d'infortune, qu'il regarde par delà les petits immeubles de la vaste ville aux mille parcs, fontaines et canaux du Sanctuaire, il rêve avec eux de voir l’œil s’ouvrir.
Mais pour qu'il s'ouvre, il faut que la Voix crie, hurle, pour qu'elle puisse indiquer la Voie. Ossus. Fontaine de jouvence ? Bibliothèque de savoir éternel ? Mine de sagesse ?
Rien de tout cela. Ossus n'est rien, mais Ossus est tout. Est-ce une philosophie, ou une fantaisie ? Nul ne le sait, personne ne sait ce que c'est. Ossus montre la Voie grâce à sa Voix. Les Domaines d'Ossus tous entiers tendent l'oreille. Un messager arrivera t-il enfin ?
Le jour se lève. Mais les astres sont toujours là. Qui disparaîtra avec l'arrivée de la frêle lumière, qui ne parvient pas à chasser toute l'obscurité ? Ils attendent la réponse. Les 5 gardiens attendent.
Les Domaines d'Ossus ont une longue histoire. C'est un vieux pays qui prend ses sources dans de vielles origines, de vieux problèmes, de vieux amis et de vieux ennemis. Pour bien comprendre la source spirituelle des Domaines, il faut comprendre que les Domaines d'Ossus ont succédé à l'Empire Consulaire Triosiens, qui a lui-même succédé à la République qui a elle-même succédé à l'État des Cents Nobles d'Ossus. Les Cents Nobles étaient impuissants et inopérants, la République corrompue. Et pour finir, l'Empire Consulaire et les Domaines sont exactement la même chose.
Là où les Domaines prennent leur source, c'est en un homme et un livre. Aeon I, fondateur de l'Empire Consulaire, avait développé des thèses révolutionnaires sur ce que les choses étaient, et ce que la nation devait être.
Docteur Edgard Spoal, professeur d'Histoire à la faculté d'Hildegard.
Un état, une nation, une institution, une thèse, une idée, un tout.
Franz Dirtismich, au Conseil des mille.
Les Domaines d'Ossus en eux-même, reposent sur un texte moral et philosophique qui vient du fond des âges. Le texte en lui-même est très alambiqué, si bien qu'on n'en comprend que ce que l'on souhaite en comprendre, cependant nombres d'éléments dans ce texte vont dans un même sens, une même direction. Mais hélas, ce texte est impénétrable, sauf pour quelques rares personnes qui sont nommées par celui-ci comme étant des « Gardiens ».
Les Gardiens, qui sont au nombre de cinq, disposent de clefs permettant de lire le texte. Chaque gardien possède une clef bien précise lui permettant de lire une partie du texte. Seul le cinquième, qui se trouve être le Duc, a la possibilité de lire tout le texte. Aussi, un tel élitisme laisse d'immenses traces d'ombre, si bien que le commun de l'élite intellectuel des Domaines ne connaît que les très grandes lignes. [...] Le livre déclarerait que l'univers peut être décrypté par trois grandes sciences de vérité qui sont : la musique qui représente l'application, une forme bien précise de mathématiques qui représente le concret, et une sorte de philosophie métaphysique dont le nom est inconnu et qui s'occupe de ce qui est subjectif et intangible, mais pourtant bien réel. [...] Ces trois sciences de vérité sont unies dans un élément qui est le livre d'Ossus. D'ailleurs, je vais me permettre une légère parenthèse au sujet d'Ossus. Ossus puise ses origines dans des légendes qui seraient antérieurs a l’État des Cents Nobles. Ce serait tour à tour une philosophie, une source de vie éternelle, une source d’énergie infinie, ou encore, une source de vie. D'ailleurs, certains ont un point de vu très tranché à ce sujet en décrétant que ce serait tout cela à la fois, et bien plus encore ce qui ne nous avance pas beaucoup.
Pour en revenir aux trois sciences de vérité, elles imagineraient l'Univers comme une sorte de grande symphonie, une sorte de grand orgue universel, les éléments les plus importants étant les piliers. Jusque là, c'est simple. Cependant, il vous faudra un profond effort de pensée pour comprendre que le livre dirait que, tout, absolument tout en ce bas monde, est une variable, un élément influençant et un influençable. Des constantes chimiques, à l'heure à laquelle vous vous couchez, du moindre de vos gestes. Toute action entraîne une réaction qui provoque des actions... et ainsi de suite. C'est d'ailleurs là un des éléments les plus ambiguës et les plus longuement expliqués dans le Livre d'Ossus... et le plus abstrait, tout en étant en même temps extraordinairement concret.
Cet état de fait qu'est "L'Univers Symphonique Variable" comme l'appelle un de mes amis, serait une sorte de grand algorithme universel tournant sans but et de manière infinie, ainsi que d'autres théories fascinantes du même genre sont connues par les Gardiens et seulement par eux. Cet élitisme serait fondé, mais personne n'explique pourquoi, et surtout pas les Gardiens eux même qui n'en ont aucune idée. [...] Ces derniers sont donc cinq, et par une équation aberrante, ce chiffre doit être maintenu à cinq à tout prix. La raison ? Cinq et trois font huit. En d'autres termes, les Gardiens et leurs applications des sciences de vérités ouvre une porte sur une sorte d'infini abstrait. Cependant, ces huit variables ne doivent pas être n'importe lesquelles.
En effet, les cinq gardiens ne sont rien d'autres que les cinq Consuls. Ils ont tant d'autres titres, mais celui-ci les regroupe de manière général et il est fort pratique – et il est au passage, une relique de l'Empire Consulaire. Les cinq gardiens doivent être pour toujours et à jamais cinq. Quatre d'entre eux doivent rester des valeurs fixes, identiques, et ne doivent pas changer, tandis que le cinquième, c'est à dire le Duc, serait une sorte d'inconnue. Comment faire pour que les quatre autres consuls reste à jamais les-mêmes ? Le Livre exige que ce soit les même dans leur façon de faire. Mais, ils peuvent être des gens différents. Cependant, et c'est là une des seules parts sombres et sans doutes repoussantes des Domaines, depuis des siècles les Consuls changent de visage, mais ils gardent les mêmes passés, les mêmes noms, les mêmes comportements, les mêmes postes et les mêmes qualifications. Grâce à une sélection et sans doute des créations in vitro, des procédés proches d'un lavage de cerveau quotidien, vous avez toujours une Susan Calvin par exemple, qui aura les mêmes souvenirs, les mêmes traumatismes, les mêmes cicatrices et qui aura vécu à peu de choses près la même vie que l’originale.
[...]
Les Domaines d'Ossus ont des mœurs étranges, basés sur une sorte de stoïcismes. Les gens esclaves de leurs sentiments sont mal vus, et il faut garder ce genre de chose pour soi. Le but ultime de la société étant une stabilité totale. Mais là est le paradoxe. L'histoire est comme un électrocardiogramme. Ralentissez le rythme, et ça va encore à peu près, arrêtez le... et c'est la mort.
[...]
Pour que la société des Domaines - qui est particulièrement aisée et cultivée grâce à une robotisation importante – ne s'étiole pas, il faut lui trouver des occupations. La réponse fut simple et double : l'armée et l'administration, c'est à dire, l’État. L'armée des Domaines d'Ossus n'est pas une armée de combat, c'est une armée d'occupation, dans un sens qui est peu commun lorsqu'on parle d'armée. Elle est cependant très qualifiée, même si elle manque d'expérience de combat réel. On notera aussi qu'elle est très vieillotte. Combats honorables, utilisation du sabre, régiments de cavalerie encore en service pour les parades... L'armée n'est pas véritablement un bastion conservateur de la société – c'est même plutôt le contraire en raison de sa forte méritocratie – mais elle est le reflet de cette société. (Un des membres du Conseil des Mille avait dit que si les Domaines d'Ossus étaient un lac, ses eaux seraient si paisible que les battements d'ailes d'un papillon à mille lieux en troubleraient la surface.)
L'autre réponse donnée à l'oisiveté de la société qu'est l'administration a donné un résultat plutôt... surprenant. Si l'administration des Domaines est sans doute une des meilleures qui soit, certains départements, secteurs et juridictions, n'ont aucune raison d'être. Cependant, ils ont été créés pour combler un vide dans la société, vide qui est d'ailleurs très mal rempli. Les gens des Domaines d'Ossus vivent en très bonne santé très longtemps, jusqu'à quatre cents ans et vivent encore cahin caho entre un et deux siècles selon les gens. Cette longévité devrait rendre les gens heureux, leur vie est faite de luxe et de culture et non de labeur. Ils travaillent pour le plaisir uniquement et ils savent qu'il y aura toujours quelqu'un ou un robot pour le faire à leur place si besoin. Pourtant, la population des Domaines d'Ossus est décroissante. Le taux de natalité est faible, et il ne permet pas de rétablir le taux des naissances à un niveau suffisant pour un renouvellement des générations acceptable et on dit souvent que la natalité prouve que la nation est en bonne santé.
Les Domaines d'Ossus se meurent lentement. Leurs dogmes et leurs mœurs les rongent de l'intérieur. [...] Les Domaines et leur administration sont en vérité une sorte d'immense algorithme, un peu comme le Livre décrit l'univers. Le "système" Domaines d'Ossus est une sorte de procédure de calcul et d'approche qui à un but précis et inconnu. [...] Tout est écrit dans le livre. [...] Cependant, les Domaines commettent souvent des erreurs, des errements dans leurs procédés. Le projet Nastresis par exemple, est en vérité une tentative de la part d'une partie de l'administration pour créer un sorte de Dieu. Il faut comprendre que tous les Consuls représentent une tendance politique. Le Duc est l'arbitre. Mais lorsqu'il est absent, qui arbitre ? Qui régit ? Qui donne les ordres ? Qui décrypte le Livre ?
[...]
Si le projet Nastresis n'a jamais eu de suite, les instigateurs ayant été éliminés par une sorte de procédure automatique ce genre d'incident est déjà arrivé. Et il en arrivera encore. Les Domaines, depuis la "mort" ou plutôt la maladie de l’exécutif, sont incapable d'avoir des postures fortes ou de prendre des décisions unilatérales. Le dépeuplement est une forme de renoncement. L'absence des Domaines des champs de batailles est également une forme de renoncement.
Le plus étrange est que les Consuls savent ce qu'il se passe, ils savent pourquoi le projet Nastresis a eu lieu, ils savent comment faire en sorte que ce genre de folie ne se reproduise pas... Mais, s'ils en ont conscience, ce ne sont que des exécutants. Il manque le cinquième gardien.
Dr Hans Etraos, mémoires d'une vie.
Sous les chapeaux hauts de formes de ces gens, il y quand même de drôles d'idée qui tournent en rond. [...] Ce pays semble n'être qu'un boite à idées.
Herbert Donstak, un Diplomate Thelios en perdition.
Les dogmes de la société de l'Empire Consulaire, jusqu'aux modes vestimentaires, sont révélatrices de la volonté d'un certain immobilisme. Mais si on se penche sur les apparences, tout est fait pour cacher. Les gens ont tous des secrets et des pensées bien plus profondes et poussées qu'on ne le croit. C'est sans doute la seule entité de philosophes paranoïaques narcoleptiques de l'Histoire.
Inconnu.
Je parle souvent de manière simple, mais il est vrai que le raffinement est la base de notre société. Si un jour le radicalisme, qui est selon moi synonyme de facilité, vient à devenir prédominant parmi nous et bien, nous serons tous morts.
Franz Dirtismich, au Conseil des mille.
Au final, une société est comme un homme. Elle est divisée avec elle même parfois, elle est en proie avec des conflits intérieurs, des contradictions. Souvent, elle souffre de maux qu'elle connaît, mais elle ne l'accepte pas comme fait et elle nie leur existence par un étrange procédé. Avec le temps, du technocrate au politique en passant à l'artisan pour finir au citoyen lambda, l’écœurement, la tristesse, le dégoût de soi et du monde qui nous entoure gagne du terrain. [...] Chez certaines personnes, ou dans certaines sociétés, tout craque d'un coup et l’accumulation de tristesse et de détresse laisse la place à une vraie révolution, qu'elle soit lente ou rapide. Mais chez certaines personnes et donc, dans certaines sociétés, le processus est plus lent. La résistance est en vérité plus grande, soit parce qu'on est né dedans, soir parce qu’on se donne des illusions, on se réfugie dans un Sanctuaire par exemple et on se coupe du monde... et au final, la déliquescence aboutit à la situation que nous connaissons actuellement. [...] Les Domaines sont faces à une situation qui n'a dû être observée que très rarement. La société, ses principes, ses mœurs, ses contradictions... en fait la société elle-même fait d'elle une entité vivante. L'homme a créé la civilisation à son image, et l'Histoire elle aussi est faite à son image. En fait, je pense que je suis comme tous les habitants des Domaines : je ne sais pas par quel bout observer le problème et tenter de le résoudre, tant ses ramifications sont énormes.
Aeon II, cette vie et mes échecs.
Le Haut Conseil est un conseil, il n'a pas vocation à donner des ordres, mais à les exécuter, aussi, en l'absence du cinquième gardien, le Haut Conseil ne peut pas faire grand chose.
Franz Dirtismich, dans son livre : Des lois idiotes pour des Hommes simplets.
Le Conseil des Mille est une institution aussi vieille que rigide qui date du Royaume. L'idée de départ était de réunir les représentants de toutes les grandes familles pour qu'ils règlent leurs différents par l'art oratoire, au lieu de se trucider en duel – ce qui posait quelques problèmes lorsque la haute administration avait des postes à pourvoir. L'autre rôle du Conseil est d'élire la famille qui assumera le rôle de famille Ducal. En d'autres termes, ce sera la famille dans les rangs de la quelle on prendra un individu quelconque pour le transformer en dirigeant. Souvent, les procédés pour y arriver sont analogue à ceux utilisé pour les autres Consuls. Lavage de cerveau, vie artificiel, cage doré, manipulation et ainsi de suite.
Dr Hans Etraos, mémoires d'une vie.
Il nous faut un nouveau Duc, un nouveau pouvoir exécutif !
Franz Dirtismich, au Conseil des Mille.
Koutouzof et Bartfast s'étaient alors tournés vers moi et ils m'avaient dit qu'ils s'en étaient chargés et qu'ils avaient mis un de leurs amis au travail. Pour ma part, j'étais dubitative. Lianne n'était pas faite pour une telle destinée.
Susan Calvin, dans les Notes de Services pour la Postérité du Haut Conseil, effectué par le greffier numéro trois.
Les Aeons ne sont plus, le dernier d'entre eux va bientôt s'éteindre. Nous devons faire appelle à leur sang de nouveau, fusse t-il éloigné ! Oui ! Je propose que la nièce du Sage Aeon II, Lianne d'Artois devienne notre nouvelle Duchesse ! Je demande au Conseil d'inscrire cette requête à son ordre du jour !!
Franz Dirtismich, au Conseil des Mille.