De l’ingéniosité archiducale à propos des cargos

Présentation de personnages, d'alliances, dialogues et intrigues se passent ici.

  • L'archaïque roue de la Station tournait dans le silence glacé de l'espace, ses flancs resplendissants sous la lumière cinabre de Naer. Des nuées de vaisseaux fourmillaient à ses alentours, de la simple galiote orbitale aux massives nefs de charge transluminiques, en passant par les habituels assortiments de vedettes, de yachts et de patrouilleurs ; tandis que, s'étirant à partir de l'axe de la section rotative, le fin câble de l'Ascenseur se perdait dans les premières brumes atmosphérique de la bille d'azur et d'émeraude qu'était Erhaben. Les détails se fondirent bientôt en une masse lumineuse, qui devint une étincelle de plus en plus faible avant de disparaître. Le Duc poursuivit néanmoins – quoique avec ennui – son examen de l'espace depuis le hublot de son transbordeur. Le trajet entre la Station et les Chantiers ne durerait que quelques minutes, mais ce contre-temps – aussi modeste fut-il – avait le don de l'insupporter. Cet imbécile de Surintendant des Finances avait réussi à convaincre le jeune Archiduc qu'il était nécessaire de rentabiliser au maximum l'Ascenseur, et ce dernier avait tôt fait d'interdire tout décollage sol-espace sur l'ensemble de la planète. Le Duc se retrouvait ainsi obligé de caboter alors qu'il aurait simplement pu prendre une navette depuis son domaine. Y repenser fit monter un soupir d'agacement. Mais enfin, tant bien que mal, le petit bâtiment parvint à destination. « Nous sommes arrivés à Werft », prévint la voix du pilote alors qu'apparaissait sur un écran une vue de ce terminus : les Chantiers Spatiaux Archiducaux. L’arachnéenne structure entourait la gargantuesque silhouette d'un astronef approchant sa complétion. Une série de lumières clignotantes dirigea le traversier jusqu'à un tube d'arrimage. Le Duc se leva dès qu'il sentit le son sourd marquant le contact entre son vaisseau et les Chantiers. Il avança à grandes enjambées vers l'écoutille, patienta le temps que l'indicateur du sas passe au vert, et enclencha enfin le mécanisme d'ouverture. La porte chuinta, révélant un comité d'accueil dont la fanfare débuta la Marche d'Haag à l'instant où le Duc fut visible. Un prélat portant la livrée de la Noble (Mais pas vraiment ancienne, pensa-t-il en l'apercevant) Maison de Kreisen courut à sa rencontre au bas de la rampe, s'inclinant avec raideur et déférence.

    « Votre Grâce », le salua-t-il. « Monsieur le Marquis vous fait transmettre ses plus sincères salutations, et vous invite à le rejoindre depuis la baie d'observation », ajouta-t-il en restant courbé. Son interlocuteur lui fit signe de se relever et de le guider. Il s'exécuta, et s'engouffra dans les coursives à une allure proche du petit trot, suivit par le noble homme puis par les essaims de représentants, dignitaires de moindre rang, assistants, gardes.

    La Baie d'Observation était relativement proche de la salle de débarquement, et fut atteinte en peu de temps. À l'intérieur, un vaste hémicycle faisait face à un non moins vaste pan de mur hyalin. Cet amphithéâtre était pour l'instant nimbé par la puissante lumière de plafonniers richement ornementés. Le prélat passa la porte avec empressement, et glissa un mot à l'oreille de l'héraut attendant à l'entrée. Celui-ci abraqua sa posture, et saisi le court clairon à sa ceinture. Il souffla un bref ton lorsque l'invité de marque pénétra dans la salle, avant d'effectuer l'annonce à plein poumons.

    « Le représentant officiel de Sa Majesté Wilhem-Gregor : Sa Grâce le Duc d'Haag, Marquis de Bremberg, Vicomte d'Heltrez, Seigneur de Lodz et de Kralerg, Commandeur de l'Ordre de Sigismund, Officier de l'Ordre Archiducal d'Ivoire ; Albrecht, second du nom, de la Noble et Fort Ancienne Maison de Stallmeister ».

    Le Duc fut immédiatement accueilli par un petit homme dont les riches habits ne faisaient qu’amplifier le sentiment de décadence émanant de son embonpoint : le maître des lieux, le Marquis de Werft, Karl – vingt-huitième du nom – de la Noble Maison de Kreisen. Il se présenta avec force courbettes. Haag le toisa avec mépris. Ce révulsant personnage – à ses yeux, nobles depuis dix siècles – n'avait obtenu cette place et l'anoblissement conjoint que grâce aux connections et aux ridicules quantités d'argent qu'il avait amassé de par sa profession première de marchand. Le Duc tenait les marchands en horreur. Ils ne produisaient rien. Le Marquis se redressa finalement, et les deux hommes – accompagnés de leurs aréopages respectifs – allèrent s'asseoir au premier rang, à côté d'une femme à l'air sévère, étrangement dépourvue des atours traditionnels de l'Archiduché. Les lumières faiblirent graduellement jusqu'à ce que les gradins soient plongés dans une obscurité uniquement troublée par la faible lueur stellaire provenant de l'immense verrière. La masse sombre d'un vaisseau de grande taille était distinguable sous leurs yeux.

    Une musique commença à s'élever, des cordes douces au départ. Quelques projecteurs s'allumèrent à l'extérieur, dévoilant au diapason du crescendo de plus en plus de détails sur le bâtiment : un bout de coque, un mat radar, une nacelle de défense... Les cordes se virent supplantées par un ensemble de cuivres, marqués et renforcés par les coups sourds de tambours. Les cors, les trompettes gonflèrent jusqu'à atteindre une resplendissante apothéose sonore parfaitement synchronisée avec l'allumage de tous les projecteurs du radoub. La nef apparu dans son entièreté, gargantuesque assemblage de quatre kilomètres de long. L'intensité des vents baissa, les cuivres étant remplacés par des bois aux tonalités plus douces. Un chœur débuta un chant en l'ancienne langue des Baronnies, accompagnant le lent démarrage du bâtiment. Les armes de l'Archiduc brillaient de mille feux, gravées sur chacun des flancs du mastodonte. De grandes lettres blanches proclamaient son nom : l'Éclat d'Erhaben. Il se mit en mouvement avec paresse, laissant à tous le temps d'admirer ses lignes racées, des pantagruéliques propulseurs constituant sa poupe aux non-moins colossales portes déchirant son étrave, laissant présager de sa nature de transport véloce.

    Lorsqu'enfin les chants s'éteignirent, tandis l'Éclat disparut hors de portée visuelle, un tonnerre d'applaudissements emplit la salle. Un homme sec, dont le mal-être trahissait le manque d'expérience hors de son bureau, se retrouva en bas des marches, devant la baie vitrée, cible de toutes les félicitations. Il salua maladroitement comme le héraut clama son identité – Monsieur l'Ingénieur en Chef du projet Éclat d'Erhaben : Messire Volkhardt Gerson, Officier du Fort Illustre Ordre du Mérite de la Couronne – et allait retourner à sa place quand la femme à l'air sévère se leva.

    « Au nom de la Guilde du Transport », déclara-t-elle d'une voix surprenamment plus chaude que son apparence, « je vous transmets nos plus gracieuses félicitations. Ce projet mené à bien est un symbole, une véritable réussite de vos équipes », clama-t-elle en saluant l'ingénieur qui répondu malhabilement, « ainsi qu'un motif de fierté pour la Guilde et pour l'Archiduché. Votre Grâce, Votre Magnificence », conclu-t-elle. Les applaudissement reprirent de plus belle, une vue tridimensionnelle du nouveau-né s'affichant désormais devant la vitre, permettant à tous de découvrir les moindre détails de l'engin.

    Le Duc d'Haag, quant à lui, ne regardait pas l'hologramme, mais le point à la magnitude apparente toujours plus faible qu'était le cargo s'éloignant. Une capacité d'emport doublée et une vitesse augmentée de moitié... Pour un bâtiment de la même taille, pensa-t-il avec satisfaction. Une belle preuve de nos capacités de miniaturisation et d'automatisation. La part de son cerveau n'étant pas noyée sous l’auto-congratulation, plus rationnelle, lui rappela le coût exorbitant de l'appareil ainsi que la faible cadence de production. Bah !, balaya son enthousiasme, puisque le concept est validé, les chaînes d'assemblage seront construites et agrandies ; les méthodes de fabrication rationalisées... Un marché des plus juteux s'ouvrait à l'Archiduché. L'image de dizaines de milliers de cargos estampillés Breguen-Nassau filant à travers la galaxie, chacun vendu pour plusieurs dizaines de milliards de Ducats, lui laissa un sourire carnassier sur les lèvres.
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    Gouverneur: Archiduché de Breguen-Nassau


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