- Madame la Chancelière, nous débutons la procédure d'atterrissage. Nous serons à quai dans une vingtaine de minutes.
- Entendu, Volker. Jermain, rejoignez-moi dans mes quartiers d'ici dix minutes.
- À vos ordres, Chancelière. Toujours.
La jeune femme esquissa un sourire à la réponse de Jermain. Son conseiller n'était jamais à court d'idées pour donner à des réponses protocolaires la profondeur qui faisait leur sens. Il était aussi un précieux soutien, dans la réflexion comme dans l'action politique. Sur ce sourire, la Chancelière d'Ohm se rendit dans ses quartiers pour se préparer. Elle détestait les vêtements d'apparat mais elle ne pouvait pas sérieusement débarquer au Sénat en tenue de vol. Elle avait rapidement appris à jongler avec les registres, et ses collaborateurs étaient habitués à être nommés par leurs grades comme par leurs prénoms selon le cadre.
Une longue robe, décente mais splendide, et des talons raisonnables conviendraient à l'occasion. Chloé songeait déjà au rire étouffé de Jermain quand il la verrait ; il savait combien elle trouvait tout cela hypocrite mais aussi à quel point elle jouait le jeu. S'il n'en avait tenu qu'à elle, la Chancelière aurait volontiers mis tous les messieurs impressionés, voire plus, par sa tenue, dans l'obligation de porter le même uniforme. Elle chassa cette pensée et acheva de se préparer. Peu après, elle rejoint Jermain qui l'attendait, comme ordonné, dans le salon qui ouvrait ses quartiers.
- Madame la Chancelière... Vous êtes resplendissante !
- Pas d'ironie, Jermain, ou je te convie à l'entraînement de Vahid lorsque nous serons rentrés.
- Oh, Chloé, tu n'oserais pas ? Vahid est très gentil, certes, mais ses entraînements...
- Te feraient sans doute le plus grand bien ! Allons, cessons de palabrer, nous avons un événement diplomatique à gérer.
- Certes. J'ai revu tout à l'heure les éléments dont nous disposons, mais tu les connais.
- L'inconnu, je sais. Aurais-tu des doutes de dernière minute ?
- Je sais que cela me coûterait ma place, Chancelière ! Non, la situation n'a pas changé. Nous pourrons jouer sur notre particularité de n'avoir pas encore rejoint de guilde ou de factions, mais cela pourrait nous valoir aussi des réactions imprévisibles. Ce ne semble pas être la coutume.
- Nous y étions pourtant obligés par le Conseil. C'est bien la raison de ce déplacement, d'ailleurs. Sans garanties ni vision élargie des choses, le Conseil n'acceptera jamais d'intégrer une entité plus grande.
- Les factions, surtout, Chancelière... C'est nous qui avons temporisé pour les guildes, non ?
- Nous n'y voyons pas assez clair... Ils voudraient tous rejoindre celle qui sert leurs intérêts mais notre maison est plus prudente...
- Et plus polyvalente. Quoiqu'il en soit, rappelle-toi de ne jamais rien laisser paraître de tout ceci ici. Notre politique interne ne les concerne pas.
- Inutile de donner des informations gratuites, oui.
- Autre chose... Je crains qu'avec le temps, nous ne soyons de plus en plus pressés de rejoindre une faction. Apprends-en le plus possible.
- J'y compte bien. Nous en aurons besoin, pour prendre une décision comme pour convaincre le Conseil. Au fait...
Une annonce les interrompit. Volker annoncait que l'atterrissage prenait fin ; ils allaient pouvoir débarquer quelques minutes plus tard.
- Allons-y, Jermain. Ne faisons pas attendre la foule.
Vingt minutes plus tard, après les formalités d'usage, la Chancelière d'Ohm se trouvait enfin face aux représentants du reste de l'amas. Elle songea à son père, dont le jeu politique n'avait jamais concerné que son monde natal, et se demanda ce qu'il aurait pensé de tout cela. Enfin, elle balaya son souvenir et se concentra sur la tâche présente.
- Salutations à vous, nobles représentants des peuples de Varden. Moi, Chloé Thibeaud, Chancelière du monde d'Ohm, vous apporte ses respects et vous fait connaître son existence et sa volonté de nouer des liens aussi durables et profitables que possible avec vous. Ohm ne souhaite que la paix et la prospérité, et vous la souhaite également.
Notre modeste nation a conscience d'avoir peu à offrir en dehors de cette bonne volonté et de notre neutralité actuelle. C'est pourquoi nous n'avons à coeur que de nouer se saines et solides relations avec qui estimera profitable de le faire. Assumant sa direction, j'en assumerait également sa représentation pour la durée de mon escale en cette planète. Si vos intentions sont louables, n'hésitez donc pas à me contacter, maintenant ou plus tard.
Le discours de la Chancelière avait été bref. Jermain, au pied de l'estrade en tant qu'officier d'honneur, réprima un tic d'agacement. Certes, Chloé en avait peu dit, comme convenu, mais il estimait qu'elle aurait pu mieux meubler le tout. Enfin, l'essentiel était là. Ohm était maintenant partie prenante du concert de Varden, et le crédit en revenait à la Chancelière. De mémoire, Jermain ne se souvenait pas qu'elle eut été en meilleure position au Conseil ; hormis peut-être lorsqu'elle s'était emparée du siège de Chancelière...