L'Undernetwork.

La ville était baignée d'un rythme étrange, lassant. Le colosse souffreteux qui lui servait de soleil s'affaissait lentement à l'horizon, le bouchant de son énorme masse sanguinolente. Il était si faible que tous pouvaient le regarder dans les yeux, comme pour demander à l'astre de donner un peu plus d'énergie, de dissiper enfin ce froid de l'air immobile de la ville. Las, il ne répondait pas, c'était une étoile asthmatique qui émettait ses quelques pauvres rayons comme autant de minces respirations sifflantes, maintenant la vie sans jamais réussir à la satisfaire complètement.
Mais partout, les hommes savent faire jaillir le plaisir. Yaëli marchait d'un pas vif sous une des longues serres qui servaient de rues à l'élite de l'endroit. Le plafond et les murs étaient d'un élégant entrelacs de verre et de métal forgé. Ça et là, de grands jets d'eau apportaient une délicate moiteur aux ruelles pavées de pierre blanche, et décorées de plantes tropicales. Un peu partout, des informations étaient projetées à même les vitres, une femme y parlait avec véhémence, incongrument dressée derrière le pupitre du Sénat.
“...des membres du Réseau, il est promis sa liberté. A chacun des membres du Réseau, il est promis le droit a l'init...” Clamait-elle. Yaëli, connaissant le discours par coeur, s'en désintéressa vite.
Suspendues à une vingtaine de mètres au dessus des rues du commun, ces galeries reliaient la ville entière, absorbant toute chaleur sans jamais la rendre. Une bien cruelle métaphore.


Car tout ceux qui déambulaient autour d'elle, hommes en costumes de flanelle, femmes aux robes de couleur vive, tous étaient des experts dans le vaste domaine de la délicatement nommée “politique parallèle”. A ceux là, la naine rouge toute proche procurait, à défaut de chaleur, la meilleure des protections antiradar.
Une planète entière dédiée aux scènes pudiquement cachées à la vue de l'univers dans des ruelles sales, des bars interlopes, des bordels à peine secrets et des navettes aux vitres prudemment teintées. Yaëli Delauncet s'y sentait parfaitement à son aise.


Elle arriva bientôt devant deux grandes portes vitrées. Un tapis rouge y menait, sur lequel une poignée d'individus richement vêtus faisaient une queue patiente. L'endroit s'appelait “Le Restaurant” sans plus d'ornements. Yaëli rajusta rapidement la robe noire qu'elle portait, et passa sur ses épaules nues un châle gris anthracite. Coupant la file sans hésiter, elle allait passer la porte quand un sbire quelconque lui barra la route, la main tendue comme pour la bloquer.
“-Ne fait pas ça.”
Surpris par le ton autoritaire, la main du planton s'arrêta net, mais il resta là, entre elle et la porte.
“-Je ne crois pas non...Dit-il.
-Tu devrais avoir plus de foi en l'existence.”
Alors qu'elle finissait ces mots, elle vit le maître d'hôtel, un homme courtaud au visage innocent, la moustache dynamique, accourir vers eux. Paniqué.
“-William, William! Qu'est ce qui te prend! Laisse donc passer Mademoiselle Fenris voyons!”
Puis, s'inclinant profondément devant son alias, de s'excuser platement.
“-Veuillez l'excuser Mademoiselle. Il est nouveau.
-Je comprend. Répondit t'elle avec un sourire. Et soyez sûr que je glisserais un mot à la Marquise en votre nom.”
Le maître d'hôtel manqua de se pâmer de plaisir. Il suffisait parfois de si petites choses.


Sans hésiter, la jeune femme évita la salle principale du Restaurant, et se dirigea vers une porte dérobée, dissimulée dans un des murs du vestibule. Derrière, la décoration antique chargée laissait place a des murs blancs immaculés. Un véritable sas.
Elle attendit quelques secondes qu'on eût fini de la scanner, puis pénétra dans la petite salle qui s'ouvrait derrière. Là, il y avait un simple terminal holo. Le seul autre objet de la pièce était le miroir sans teint qui laissait voir la salle joyeuse du Restaurant, sa fausse argenterie et ses décorations de stuc.
Le terminal était le seul point d'accès à l'Undernetwork que Natalie Fenris était sensée connaître. Elle s'y connecta sans attendre. Sortant une datakey de sa poche, elle envoya rapidement les données se perdre dans la techmasse grouillante de l'Undernetwork, et s'éclipsa aussi vite qu'elle était arrivée. Il y avait certaines personnes sur cette planète à qui elle ne tenait pas à parler.




De: Natalie Fenris
À: -Level 3 Access-



Au nom de Lokni Okal, Elysio Aelys, et la Hawkeye Corporation.


La naissance du Réseau est désormais un fait, aussi bien pour le monde réel que pour l'Undernetwork. Ce que nous avons promis aux Sénateurs, nous le promettons ici aussi.
Liberté d'initiative totale, et indépendance vis-à-vis de toutes les forces prétendument maîtresses de l'univers.
Nous cherchons autant de guerriers fourbes que d'économies placides. Et à eux également, nous demandons le sacrifice considérable qui est la solidarité au Réseau. Forces de l'Undernetwork, le Réseau est également pour vous.


Je m'adresse maintenant à vous, éminences grises des grands Empires. Je sais que vous avez déjà déterminé combien une force non-alignée peut servir vos intérêts les plus secrets.
Je suis heureuse de vous apprendre que le Réseau n'est pas constitué sur des principes moraux autre que la liberté totale. Une borne publique est à votre disposition, mais vous pouvez également faire des propositions au Réseau par canaux sécurisés.
Si cela lui sied, le Réseau se fera mercenaire, espion, diplomate et tant d'autres choses.
L'anonymat du contracteur est une règle, mais vous ne recevrez aucune autre garantie avant d'avoir négocié directement avec un membre du Réseau.


Désormais, je ne suis qu'une des mille voix du Réseau. Dont acte.


-FIN DU MESSAGE-