Tous les chantiers disponibles du Dominion produisaient sans relâche depuis plusieurs années TSU les vaisseaux et modules nécessaires à une opération d'envergure contre le cœur amaranth. Des milliers de bombardiers au plasma s'alignaient dans les vastes ateliers industriels aéro-spatiaux, en attente du déclenchement de l'attaque surprise. Mais les rumeurs de rencontres diplomatiques entre plusieurs représentants léanths et une partie au moins de la faction amaranthe avaient poussé le Gouverneur à avancer la date prévue : il était hors de question qu'une paix inopinée vienne mettre un terme aux préparatifs.
Lorsque le moment vint de frapper, les flottes n'étaient pas tout à fait aussi conséquentes que l'avaient prévu les premières simulations, mais elles demeuraient suffisantes selon les analyses de plusieurs logiciels extrêmement élaborés. La réunion d'état-major laissait transparaître une anxiété bien compréhensible, mais pas vraiment d'inquiétude.
Fritz, vos analystes confirment-ils que notre force de frappe est suffisante ?
Ouaip Gouverneur.
L'ex contre-amiral à l'exploitation minière ne s'était pas encore vraiment habitué à la nouvelle forme de son ami et supérieur. Le défilement des colonnes de chiffres projetées par hologrammes l'empêchait de porter le regard sur un point fixe, ce qui était profondément déroutant pendant une conversation.
Bien. Les données ne sont pas assez abondantes à mon goût mais je suppose que les essais sont la meilleure façon d'en obtenir. Nous sommes en position ?
Le corps expéditionnaire du génie et la première vague d'assaut sont fin prêts.
A vous l'honneur.
C'est parti les filles !
Des milliers d'appareils de guerre s'engouffrèrent immédiatement par le portail vers une position inoccupée du cœur amaranth. Quelques modules désarmés passèrent les premiers et commencèrent à s'assembler en orbite, bientôt rejoints par un transporteur chargé d'un imposant générateur d'inertie zéro. Il ne fallut que quelques heures pour assembler une rampe pointée sur le point de contrôle le plus proche.
Première vague, go !
La flotte de bombardiers au plasma, dominée par la masse écrasante de cinq vieux terreurs originellement destinés au recyclage, s'aligna dans le rail d'accélération. La soudaine lueur produite par leurs moteurs supra-luminiques éblouit un instant les capteurs... mais l'Amiral fronça les sourcils.
Qu'est-ce que c'est que ce merdier, nos sonars détectent leur progression dans l'hyperespace... avec la rampe ils devraient déjà presque être sur place ! Passez-moi le corps du génie.
Le visage perplexe d'un ingénieur s'afficha au-dessus du projecteur.
J'ai un peu de mal à comprendre, Amiral, pourquoi avons-nous monté une rampe si c'était pour que la flotte ne s'en serve pas ?
Comment ça, ne s'en serve pas ?
Nous n'avons pas eu le temps de la calibrer, elle n'était pas en marche.
S'ensuivit une suite d'injures que la décence ne permet pas de retranscrire, que le scientifique mit judicieusement à profit pour couper la communication. Puis :
Comment voulez-vous que mes foutus bombardiers pénètrent suffisamment le dispositif de défense sans l'accélération de la rampe ! Ils vont se faire tailler en pièces !
Ça ne me réjouit pas davantage que vous, Fritz, mais l'échec de l'attaque suicide ne signe pas la fin de l'opération. Préparez la deuxième vague.
Mais Gouverneur, nos pertes...
Nos pertes importent peu, cela fait des années que nous entretenons à grands frais ces magnifiques vaisseaux, autant qu'ils servent. Nous visons plus l'expérience que la rentabilité, rappelez-vous.
Mouais. Enfin on va payer nos essais stratégiques au prix fort, c'est moi qui vous le dis.
Une seconde flotte nettement moins imposante que la première se mit en position. Elle semblait entièrement organisée pour protéger quelques structures en son centre, qu'un connaisseur aurait identifié comme des éléments de porte. Un des croiseurs amiraux modifiés, placé à l'arrière de la formation, embarquait également un précieux attracteur de failles. Cette fois l'activation de la rampe ne posa aucun problème et la vague suicide fut rapidement rattrapée, ce qui permit une relative synchronisation des deux frappes.
C'est encore pire que je l'avais imaginé...
Allons Fritz, combien de temps ça va nous prendre de reconstruire tout ça ? Un an ? Peut-être deux, grand maximum. Et songez un peu à tout ce que nous avons appris !
Ouais enfin on vient quand même de perdre plus d'un millier de vaisseaux à une peau des fesses l'unité, et autant d'équipages de valeur.
Certes. Débrouillons-nous au moins pour que leur mort n'ait pas été vaine.
Des transporteurs vinrent évacuer le champ de débris pour éviter les risques de micro-collisions et une porte fut aussitôt assemblée, qui livra passage à des nuées de modules de défenses et de batteries orbitales. Le point de contrôle ressembla rapidement à une grosse bête menaçante recouverte d'excroissances agressives pointées vers l'extérieur.
Passez-moi le Père prieur.
Le dirigeant de la Théocratie avait assuré de sa collaboration pour la défense de la position, découverte grâce à son réseau d'espionnage.
Eh bien Dalmasio, vous ne faites pas dans la dentelle ! Mes sondes m'ont permis de suivre les hostilités, c'est moins subtil que prévu...
Nous avons eu une série de contrariétés, mais la leçon aura été utile.
Ma foi, c'est votre flotte après tout. Mes forces se mettent en position au moment où je vous parle, je vous transfère les codes de contrôle.
Merci Falas, toujours aussi fiable.
Hé bien, ça fait un certain temps que mes ingénieurs maîtrisent le déploiement urgent des rampes de lancement, voyez-vous...
Et toujours le mot pour rire !
Vous n'avez encore rien entendu : au vu des rapports, que diriez-vous de renommer l'opération "Very Bad Trip" ?
Je ne sais pas si les familles des victimes apprécieront l'humour... mais ça me plaît, et ce nom n'a de toute façon pas vocation à être diffusé. Va pour l'opération Very Bad Trip !
Le prélat coupa la communication avec un sourire, et l'Amiral confirma bonne réception des nouveaux modules protecteurs de la Théocratie. La flotte confirma par ailleurs l'interception d'une escadre défensive ennemie.
Et maintenant ?
Maintenant, nous attendons la réaction amaranthe...