Peu importe le temps passé dans l'espace, la vue qu'offrait une station spatiale orbitant autour d'une planète faisait toujours de l'effet. C'était devant ce décor magnifique, un coucher de soleil Érigien observé depuis la Station Unité, que patientait le Régent Akhan. La Station Unité, véritable quartier général de l'Amirauté Solarienne, comportait en effet un - plusieurs, en réalité - pont d'observation duquel le Régent contemplait sa planète natale. Derrière lui se tenait l'Amiral Khol, un de ses anciens camarades de l'Académie d'Officiers de la Flotte. Celui-ci laissait dériver son regard impénétrable dans l'immensité ténébreuse de l'Espace, s'arrêtant parfois sur tel ou tel astre. Derrière les deux hommes, on pouvait voir une demi-douzaine de membres de la Garde Suprême dans une tenue qu'on pourrait croire civile au premier abord. Il n'en était rien. Ces hommes avaient en effet sur eux suffisamment d'équipement pour retenir tout un bataillon de fantassins, ils s'arrangeaient simplement pour que tout cet attirail ne soit pas visible afin de ne pas effrayer les badauds présents à bord de la station. Ceux-ci venaient des quatre coins des mondes membres de l'Amirauté et parfois même de mondes extérieurs. Ils se retrouvaient sur la structure pour le commerce, le tourisme, ou plus simplement, pour une simple escale vers une autre planète. Ceci donnait une certaine animation à la station, que ce soit aux aires d'embarquement et de débarquement, dans les nombreux bars, cabarets, divertissements en tout genre ou aux ponts d'observation. La scène aurait pu durer plus encore si un des gardes ne s'était pas approché du Régent afin de l'avertir :
« Monseigneur, les Amiraux de la Théocratie Kwanita arriveront d'ici un quart d'heure. Dois-je faire envoyer une délégation pour les retrouver au débarcadère ?
- Allez-y. Et dites leur de s'arranger pour qu'ils nous rejoignent rapidement en salle du Conseil.
- Bien, Monseigneur.
- Enfin, n'allez pas les brusquer, non plus. Il ne faudrait pas les mettre de mauvais poil.
- Ne vous en faites pas. Je m'occupe de tout.
- Merci. Le Régent se tourna vers l'Amiral et reprit : Voilà. Ils arrivent, j'espère que tu es prêt.
- Ça dépend, répondit-il en riant, Je pourrais affronter des flottes Léanths par centaines, mais les réunions... C'est pas vraiment la partie que je préfère dans un combat. »
Les deux hommes se mirent alors en route vers la salle de réunion tandis qu'ils ressassaient leurs souvenirs de l'Académie et de leurs débuts en tant qu'officiers. Derrière eux, la Garde Suprême se mit en mouvement, prête à intervenir dans l'éventualité d'une tentative d'agression. Après avoir emprunté divers ascenseurs et parcouru de nombreux couloirs, le groupe finit par atteindre la salle du Conseil où les y attendait déjà les deux représentants Batulléens. Ceux-ci se levèrent à l'arrivée du Régent pour le saluer, comme l'exigeait le protocole diplomatique en vigueur au sein de l'Amirauté Solarienne, puis se présentèrent :
« Régent, je vous présente toutes mes salutations. Je suis Eorla Alussen, l'ambassadrice attachée à la Station Unité. Et mon collègue, le Commodore Aster Lanken y est le représentant de la Force Batulléenne. L'homme opina d'un discret signe de tête. Nous espérons que vous avez fait bon voyage, même si j'imagine qu'il a été assez court.
Le dirigeant répondit, souriant :
- Très bon voyage, si on peut appeler ça comme ça. Moins d'une heure pour rejoindre la Station depuis Érigia. Les avantages du bon voisinage, dirons nous. Je ne sais pas si vous connaissez l'Amiral Khol. Il s'écarta, pour permettre à ce dernier de s'avancer, avant de reprendre : Il sera en charge de la coordination des forces Obscurcies lors de l'assaut, si celui-ci a lieu. Il s'assit alors, en invitant d'un geste de la main les autres à faire de même.
- Croyez moi, il aura lieu. répliqua le Commodore Batulléen en s'installant. Ce serait vraiment regrettable de laisser passer une occasion comme celle-là.
- Je suis bien d'accord, répondit l'Amiral Obscurci en prenant à son tour place à la table. Si nous parvenons à porter ce coup, nous pourrions heurter les Léanths là où ça fait mal. Et c'est toujours ce qu'il est préférable de faire à ses ennemis.
Les discussions commençaient à partir de bon train autour de la table du Conseil, tandis qu'était attendue l'arrivée des représentants de la Théocratie. Fort heureusement, la salle du Conseil avait été conçue pour offrir un certain confort. Sa taille, presque trop importante, avait permis d'intégrer de nombreux éléments décoratifs, notamment les blasons des membres de l'Amirauté Solarienne ainsi que son propre logo. Des plantes vertes, placées aux quatre coins de la pièce lui offraient une certaine fraîcheur. La table, contrairement à la pièce carrée, était ronde. En son centre était affiché l'emblème de l'Amirauté, une étoile inscrite dans un cercle surmontant des lauriers, le tout dans un orange des plus raffinés. Une vingtaine de sièges étaient disposés autour d'elle, et devant chacun d'eux était placé un écran holographique ainsi qu'un micro, ce dernier ne servant que rarement. C'était donc dans une salle tout à fait confortable que les représentants Batulléens et Obscurcis patientèrent une dizaine de minutes en discutant avant que n'arrive la délégation Kwanitienne, précédée de deux gardes. Une fois encore, tous ceux présents dans la salle se levèrent, accueillant ainsi les quatre nouveaux venus, qui ne tardèrent pas à se présenter tandis que les deux gardes se retiraient :
« Bonjour, madame, messieurs, je suis Carlos Young, ambassadeur de la Théocratie Kwanita. Il se tourna afin de présenter ceux qui l'accompagnaient : Voici les Amiraux Stephen Nash, Graham Crosby et David Stills. Les trois hommes acquiescèrent tour à tour alors que leur nom était prononcé. J'espère que nous ne sommes pas trop en retard, nous avons eu des soucis sur le chemin.
- Vous voulez dire entre le débarcadère et la Salle du Conseil ? demanda l'Amiral Khol, surpris.
- Exactement, répondit l'Amiral Stephen Nash. Deux abrutis armés de genre de chopes en métal nous sont tombés dessus, devant un bar. Ils devaient être complètement bourrés, ou un truc du genre, n'empêche qu'il y en a un qui a réussi à coller un gros coup dans la tête d'un de vos gardes. Il se tût alors que son collègue Graham Crosby poursuivait :
- Faut dire que quand ils sont arrivés en gémissant comme des moteurs de Buster en sous-régime, le garde est allé les voir pour leur demander s'ils allaient bien, et là BAM. Une chope dans les dents. Après, ils ont essayé de nous faire un discours comme quoi le pâté de Rokor c'était le meilleur truc qu'ils avaient mangé...
- Ouais, continua l'Amiral Stills, et là, l'autre garde en a eu marre, il a pris son arme, et leur en a mis un grand coup de crosse dans le ventre. J'ai bien cru qu'on allait pouvoir goûter à ce qu'ils avaient bu tellement il a frappé fort. »
Le diplomate qui les accompagnait, visiblement quelque peu gêné, reprit :
« Toujours est-il que nous n'avons rien et que nous sommes ici entiers.
- Très bien. Nous allons donc pouvoir commencer la réunion, si vous voulez bien nous rejoindre. »
À leur tour, les Kwanitiens prirent place autour de la table afin d'y rejoindre leurs collègues qui se rasseyaient.
« Madame, Messieurs, je suppose que vous savez tous pourquoi nous sommes réunis ici aujourd'hui, c'est pourquoi je serai bref : Nous avons une occasion inespérée de frapper une cible Léanth d'une importance logistique non négligeable. Le Commodore Lanken va nous expliquer tout ça.
- Merci, répondit l'intéressé, vous n'êtes pas sans savoir qu'il se déroule actuellement un conflit inter-amas. Les forces Thélios et Léanths s'entre-déchirent, et nul besoin de vous cacher que les Léanths n'étant pas vraiment nos meilleurs amis, nous n'avons aucun intérêt à ce qu'ils remportent cette guerre. Or, nous avions découvert l'existence il y a peu d'une colonie Léanth, affiliée à la LQR pour être précis, dans la dixième région d'Aelron, et cette colonie dispose d'une rampe de lancement capable d'atteindre les grandes portes. Je vous affiche tous les détails connus sur vos écrans. Il tapa quelques touches sur le clavier situé devant lui avant de reprendre, comme vous pouvez le constater, les défenses présentes sont relativement faibles et se composent principalement de croiseurs classe Tyrem.
- Excusez moi, l'interrompit l'Amiral Stills, Je vois sur les rapports que le "nom" de cette Colonie est "Youpi"... Vous êtes sûr de ne pas vous tromper ?
- Tout à fait, Amiral, répondit l'Ambassadrice Batulléenne, Les données que nous avons obtenues ont été vérifiées plusieurs fois. Nous avons d'ailleurs fait appel aux services Hypérion de la Nation Obscurcie afin d'obtenir de plus amples informations.
- Et puis, ajouta l'Amiral Khol, vous savez comment sont ces LQR. Jamais très doués pour trouver des noms. Rien que le nom de leur alliance, déjà... "les Quarantiemes Rugissants" alors qu'ils ne sont même pas une trentaine... Et d'ailleurs, même à quarante, ça n'aurait pas tellement plus de sens.
- Hum, s'il vous plaît, le coupa le Régent Akhan, Nous avons des choses plus importantes à régler que le nom des alliances Léanths. Il ajouta, avec un petit sourire, S'il fallait qu'on s'occupe de leurs noms, nous ne serions pas sortis.
- Très bien, reprit le Commodore Batulléen, donc, pour en revenir à ce que nous disions, la colonie est assez mal défendue. D'autant plus que la Confédération dispose d'une flotte qui serait, selon les simulations, quasiment capable de franchir ces défenses seule. Il ne nous faudra donc pas des renforts extraordinaires pour parvenir à nos fins. Le Régent Obscurci continua :
- La Nation Obscurcie, quant à elle, peut mettre à disposition sa flotte Aelronite de Sentinelles et de Rocs. De plus, grâce à la relance de notre économie, nous serions en mesure d'acheter les vaisseaux d'autres Melrehns. Avec tout ça, nous ne devrions plus avoir le moindre souci pour pénétrer leurs défenses.
- En ce qui concerne la position, ajouta l'Amiral Nash, Nous avons un secteur qui pourrait convenir. Il nous suffirait d'y monter une porte, une rampe et une base d'opérations, et tout serait parfait. L'Amiral Stills poursuivit :
- Pour ce qui est de la flotte, nous disposons de Gohror Shankari, de Nerbera Mora, ainsi que de trois vaisseaux Amiraux d'Ombre de classe Stepback.
- Par contre, un détail me taraude, ajouta l'Amiral Crosby, ne risquons nous pas de subir une contre-attaque de répression ?
- C'est bien possible, en effet, lui répondit Mme Alussen, cependant, les services de renseignements militaires estiment que ces contre-offensives seraient difficiles à mettre en oeuvre car le rapport de force n'est plus aussi déséquilibré qu'il l'était à une époque plus lointaine. De plus, il ne faut pas mettre de côté les retombées politiques de cette offensive : les autres alliances Melrehns, notamment l'AMI, nous reprochent trop souvent de ne pas agir contre les Léanths. Cette action permettrait de leur prouver le contraire.
- Il ne faudrait pas qu'ils oublient que nous n'avons pas les mêmes moyens qu'eux, ajouta l'Amiral Khol. On ne peut pas se permettre de foncer dans le tas sans réfléchir. »
Les discussions se poursuivirent durant près de deux heures, tandis que chacun des participants exposait son point de vue sur l'opération qui allait suivre, sur les risques qu'elle impliquait, mais aussi sur tous les avantages qu'elle pouvait offrir. Enfin, au terme des délibérations, le Régent Akhan se permit de conclure :
« Très bien. Il me semble donc que nous sommes parvenus à un accord que tous jugent acceptable ? Tous ceux présents dans la salle acquiescèrent. Permettez moi donc de résumer. Nos forces se réuniront sur la position fournie par la Théocratie Kwanita. Elles se découperont en deux forces distinctes : Une première force d'offensive, destinée à détruire les croiseurs de la flotte défensive et à réduire significativement le nombre de défenses au sol et une seconde force, à but purement destructif. Cette dernière escortera les bombes à photopile afin de les utiliser pour détruire les structures de lancement ennemies. Au terme de la première vague aura lieu un premier ramassage du champ de débris, sous couverture de nos flottes avant que le deuxième assaut ne soit lancé. Une fois la seconde vague revenue à la base d'opérations, les flottes retourneront sur leurs mondes respectifs grâce à la porte fournie par la Théocratie. Est-ce que cela convient bien à tout le monde ? »
Une fois encore, toutes les personnes présentes acquiescèrent.
« Excellent. Que nos flottes se préparent, l'opération aura lieu dans cinq mois TSU. Nous nous retrouverons à bord de la Station Unité afin d'y suivre le déroulement des combats. Jusque là, madame, messieurs, je vous souhaite tout le courage possible. »
À ces mots, tous se levèrent, puis quittèrent la salle de réunion, en continuant à discuter de l'opération qui serait, à n'en pas douter, un franc succès.