Leur abnégation ne fut pas vaine

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Ven Nov 20, 2015 4:21 am

  • « Je... Pardon ? »

    La voix incrédule du jeune Archiduc venait trancher un silence ébahi s'étalant depuis un peu trop longtemps. Les quatre personnes présentes à chacun de ses côtés n'en menaient pas plus large. Leur interlocuteur, debout face à la table, tentait de rester stoïque – mais sa raideur et sa crispation laissaient transparaître que, lui aussi, était tout autant décontenancé que le Conseil. Il répéta néanmoins d'une voix ferme, son regard ambre fixé sur le noble siégeant directement à la droite du maître des lieux.

    « Nos analystes sont formels », déclara-t-il. « Un groupe opérationnel du Comptoir d'Espen se dirige vers Erhaben sur un vecteur d'attaque. Leur arrivée est prévue d'ici une semaine.
    - Allons ! », clama un homme bedonnant, assis deux places à gauche de l'Archiduc, « comment pouvez-vous être assurés de ce, hum, "vecteur d'attaque" alors qu'ils sont encore si loin ?
    - Il n'est certes pas exclu qu'ils changent de trajectoire d'ici là », répondit calmement l'intéressé, « mais leur conduit hyperspatial pointe directement sur nous ». Il resta coi quelques instants. « Et après tout, avez vous déjà vu des Zetrans pénétrer les Domaines avec autre chose que des intentions belliqueuses ?
    - ...certes », ne put que répondre le perturbateur.
    « Avons-nous une chance d'y résister ? », s'enquis, inquiet, celui qui se trouvait à l'extrémité droite de la table. Ses riches atours – et plus particulièrement une pièce de cent Ducats d'or montée en broche – l'identifiaient comme étant le Surintendant des Finances.
    « Hélas... », répondit l'intervenant d'une voix empreinte de regrets. « Hélas », répéta-t-il après un soupir, « non. Cette flotte d'assaut est composée de six cent quatre-vingt-quatre bâtiments, laissant supposer une escorte pouvant représenter jusqu'à sept mille cinq cent unités de chasse. Dix-huit de ces bâtiments sont certes des transporteurs – deux pouvant s'assimiler à nos propres Éclats et le reste à des Zugtiers – et donc civils, mais nous devrons toujours faire face à cinq cent cinquante bombardiers, cent dix nefs moyennes au tonnage de frégates, cinq croiseurs estimés comme équivalents à notre Von Rösch, et surtout... ça », fit-il en dépliant la main. L'image d'un astronef se mit à flotter au dessus de sa paume. L'Archiduc scruta la représentation d'un œil interrogateur. L'explication se poursuivit. « Ceci est un dérivé du croiseur lourd zetran Amn'akyion ». Quelques murmures de surprise parcoururent l'assemblée. « Ceci, d'après les bases de données factionnaires, les informations des Chevaliers et nos propres renseignements, mesure plus de cinq cent toises et possède un armement spécialisé dans la destruction de croiseurs ». Il y eut de nouveau de la surprise, mais elle ne fut, cette fois, pas murmurée.
    « Déesses... », invoqua le Surintendant.
    « Merci », déclara l'Archiduc, « vous pouvez disposer ». À ces mots, l'intervenant s'inclina, et quitta la pièce avec prestance. Les divers conseillers se tournèrent vers le maître des lieux, qui, à son tour, jeta une œillade désespérée à celui qui se trouvait à sa droite : son mentor et jusqu'à peu Régent, le Duc d'Eisensen. Celui-ci lui fit un léger signe de tête témoignant de sa confiance, suffisant pour que le jeune seigneur prenne à nouveau la parole. « La première des choses à faire est de sonner la mobilisation générale. Selon l'usage Zetran, cette flotte contient probablement une force au sol. Ceci est de votre ressort, Maréchal », commanda-t-il à l'homme à sa droite.
    « En effet, Sire. Cela sera fait aussitôt que possible.
    - Parfait. Maître », poursuivit l'adolescent en s'adressant à l'homme en grand uniforme à la droite du Maréchal, « tous nos vaisseaux sont-ils en ordre de combat ?
    - Et bien... », hésita le Maître des Navires, « il le seront lors de l'arrivée de ces rustres, Sire.
    - Excellent ». Il soupira à son tour. « Il ne nous reste plus qu'à trouver une idée géniale pour les repousser avec nos maigres forces... »

    ***


    La solution – sensément miraculeuse – apparut au Maréchal deux jours plus tard. Il existait un moyen de détruire un tonnage autant supérieur. Bien entendu, cela coûterait des milliards de Ducats, et il serait extrêmement complexe de le finir à temps, mais... cela pouvait être fait. L'idée n'enthousiasma pas massivement le Conseil, et le Surintendant tomba à deux doigts de la syncope lorsqu'il apprit la ponction que cela allait représenter sur le Trésor, mais – faute de mieux – il fut décidé de l'appliquer aussi vite que possible.

    Un transporteur ASE des plus discrets livra les composants directement en orbite, sur Werft – la station abritant les Chantiers Spatiaux Archiducaux. Les espions zetrans pouvaient toujours rôder, et une fuite du projet pourrait pousser la flotte d'Espen à rebrousser chemin, rendant inutile l'investissement ; le plus grand secret fut ainsi de mise, et les constructions en cours de réalisation furent camouflées par les carcasses encore incomplètes de futurs Éclat d'Erhaben – seules assez vaste pour accueillir ces superstructures. Les plans fournis par la Guilde étant étonnamment modulaires, le chantier fut achevé à l'heure en à peine sept jours, brisant au passage le record archiducal du plus grand nombre de personnel en orbite en simultané.

    Ce ne fut que lorsque les premiers senseurs planétaires détectèrent les traces laissées dans le tissu spatio-temporel par le couloir hyperspatial de l'armada zetranne – indiquant donc son arrivée avant la fin du jour – que le parachèvement du Plan se lança, par le décollage d'un léger transbordeur depuis une piste à l'écart des zones les plus denses de la planète. À son bord se trouvait, à l'abri dans des caisses à l'aspect ordinaire, une précieuse cargaison : des photopiles. Croisement improbable entre un supercondensateur et une matrice d'extraction de l'énergie du vide, ces concentrés énergétiques avaient pour but d'alimenter ceux qui donnaient sa puissance au Plan. Peu après son décollage, l'estafette gagna l'orbite et s'inséra sur une trajectoire de rencontre avec l'engin. Il était certes seul, mais n'en demeurait pas moins un monstre de métal de près de quatre kilomètres de long, apex de destruction engloutissant huit photopiles à chaque utilisation. Un canon plasma orbital, pensa avec fierté le Maréchal en regardant les images de cet aboutissement.

    L'arrimage s'effectua sans difficulté, tandis que la navette déployait un boyau souple venant se connecter au sas du centre de contrôle du canon. Celui-ci s'ouvrit, imité quelques secondes plus tard par les portes du vaisseau. Un homme en sorti, portant juste une mallette quelque peu disproportionnée. À peine eut-il terminé sa traversée qu'un autre homme sorti à son tour, du canon cette fois. Le premier lui remit la mallette, s'en retourna à son transporteur, et le désolidarisa en rallumant ses propulseurs.

    À l'intérieur du colosse, la mallette avait été apportée à la Salle de Contrôle, surprenamment petite pour un armement de ce calibre. En son centre trônait un socle pourvu de huit ouvertures de section vaguement cylindrique, attendant les précieuses piles. Leur rapide insertion fit passer plusieurs voyants au vert sur les consoles, attestant du bon fonctionnement de tous les systèmes. Les chambres de fusion avaient été mises en chauffe, les générateurs magnétiques activés, ne manquaient plus que les invités pour assister au plus grand feu d'artifice des trois mille années-lumière à la ronde.

    ***


    Le Lieutenant-Général des Armées Navales Wolfhard von Rösch était le plus récent et le plus puissant des bâtiments produit par l'Archiduché, nef de six cent dix-huit mètres de long représentant le premier croiseur Cyberia estampillé Breguen-Nassau. Son commandant, le Capitaine de Vaisseau Otto von Rösch, était un descendant direct du marin ayant donné son nom au vaisseau, et avait ainsi obtenu sa place plus par son nom que par son œuvre – comment bien souvent dans les Domaines. Il tentait néanmoins, tant bien que mal, de se montrer digne de son poste – et de son rang : officier, mais gentilhomme avant tout. Il siégeait, serin, dans un fauteuil dominant la Passerelle de son commandement. Divers écrans parsemaient ce centre névralgique, dont un présentant un état de la maigre flotte qu'il aurait à superviser. Vingt-cinq corvettes, six frégates, et son propre croiseur.

    Une alarme sonna et ses écrans se parèrent d'un funeste cinabre. Les senseurs s'actualisèrent et une vision plus nette de la flottille assaillante se dessina sur les afficheurs. Une voix grésilla dans les hauts-parleurs du bord : « DO Plasma à Von Rösch, DO Plasma à Von Rösch. Ils ont effectué leur translation hors de notre portée. Vous allez devoir les retarder autant que faire se peut ». Le Capitaine fronça – très légèrement – les sourcils, avant de presser un des multiples boutons que possédait son accoudoir. « Von Rösch à DO Plasma. Bien reçu. Nous allons faire de notre mieux ; soyez prêts à détruire ces faquins dès que cela sera en votre pouvoir. Von Rösch, terminé ». Il se tourna vers son navigateur. « Préparez-nous une trajectoire tangente, nous devons forcer leur insertion orbitale à se produire au point H-vingt-huit ». L'intéressé acquiesça et, quelques instants plus tard, produisit une trajectoire qui conduisait la modeste escadre archiducale sur une courbe tangente à leur orbite actuelle. Cette courbe filait ensuite directement sur les Zetrans. Ces derniers, ayant émergé à la limite de la sphère de Hill d'Erhaben, se trouvaient sur une parabole au foyer occupé par la planète. Un cheminement à énergie minimale, donc, puisqu'une simple poussée au périapse suffirait à les mettre en orbite. Von Rösch jetait ainsi ses bâtiments sous le nez de l'armada d'Espen, espérant constituer une cible suffisamment alléchante pour que celle-ci prenne le temps de les détruire, achetant en sang les minutes nécessaire à la mise en place du canon, détournant l'attraction des attaquant jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus échapper à leur funeste destin. Le Capitaine se tourna vers le Sous-Lieutenant Osterhaus, son chef-senseur. Ce dernier scrutait avec attention sa console.

    « Les cibles sont entrées dans notre enveloppe de tir ! », lança-t-il soudain.
    « Feu à volonté ! »

    À ces mots, les différentes tourelles positionnées le long du croiseur se retournèrent, pointant vers les cibles que l'IA de bord jugeait intéressantes. Puis, dans un compartiment au sein du vaisseau, deux valves s'ouvrirent, laissant des souffleries injecter du gaz dans une chambre de combustion : de l'éthylène et du trifluoride d'azote. Un arc électrique enflamma le premier, produisant ainsi des radicaux libres excités de fluor qui furent propulsés vers une tuyère à la manière d'un moteur-fusée. Là, un mélange d'hélium et d'hydrogène fut injecté dans le flux d'échappement, réagissant avec les radicaux, produisant des molécules excitées de fluorure d'hydrogène qui furent à leur tour conduites dans un résonateur optique où une irradiation contrôlée par des radiations électromagnétiques dans l'infrarouge lointain provoqua un phénomène d'émission stimulée. Les photons ainsi produits furent ensuite guidés à travers un réseau de fibres optiques jusqu'à la gueule du canon. Jaillissant à une célérité par définition maximale, ils prirent la direction de leur cible, qu'ils impactèrent quelques fractions de seconde plus tard, transférant des térawatts d'énergie à son blindage.

    Le Von Rösch, tandis que ses tourelles s'acharnaient à fondre les croiseurs ennemis, avait déployé de larges grilles métalliques qui rougeoyaient. Il s'agissait de radiateurs, destinés à évacuer le trop plein de chaleur que représentait la génération de faisceaux lumineux d'une telle énergie. Évidemment, étant dans un environnement vide, ce refroidissement ne pouvait avoir lieu que par rayonnement et était donc peu efficace ; c'est pourquoi, après à peine cinq brèves minutes de tir continu ayant suffit pour porter les radiateurs au blanc, certains de ses canons se turent.

    Le Capitaine, raidi dans son fauteuil de commandement, maugréait à propos de la supériorité des armes cinétique par rapport à ces « diableries de lasers » quand les premières alarmes de proximité résonnèrent.

    « Rapport de situation ! », tonna-t-il.
    « Contact missiles ! », lui fut-il répondu avec empressement. « Nombreux objets sur vecteur de collision !
    - Sont-ils encore loin ?
    - Ils entreront à porté de notre grille de défense dans dix-huit secondes ! »
    Von Rösch s'étrangla à ces mots. Dix-huit secondes ! Cela voulait dire qu'ils arrivaient sur eux à une vitesse de...
    « Vous êtes certain ?
    - Affirmatif », répondit Osterhaus, « accélération de dix huit mille gravités ».
    Le Capitaine n'hésita pas un instant, au vu de l'urgence.
    « Passez en mode automatique total ».

    Cinq salves de cinq cent missiles chacune se ruaient vers les défenseurs d'Erhaben. Même en comptant ceux distraits par les défenses fixes, cela représentait toujours pas moins de trente torpilles visant directement le Von Rösch. Les systèmes de défense de point étant réglés en mode automatique et le calculateur du bord recevant les informations de son radar ainsi que de ceux des autres vaisseaux de l'escadre, les engins furent immédiatement identifiés comme hostiles. L'ordinateur leur associa une priorité de destruction fonction de leur proximité. Le système était complètement laissé à lui-même, libre d'ouvrir le feu à sa volonté électronique dès qu'il jugeait une menace suffisamment préoccupante. Des nombres, des symboles, des vecteurs de trajectoire paradèrent sur l'écran principal. Ces derniers prenaient en compte la présence d'autres vaisseaux à ses côtés, eux aussi parés à lancer leurs fusées d'interception.

    Les premiers missiles zetrans passèrent la limite extérieur de l'enveloppe de tir, et, sur le Von Rösch comme sur ses voisins, les trappes des silos s'ouvrirent. Cent cinquante missiles s'élevèrent en même temps, chacun d'une case différente. Le vaisseau fut rapidement entouré d'un nuage de fumée provoqué par les moteurs-fusée de décollage des Missiles Anti-Missiles. Les torpilles assaillantes ayant été prises en charge, l'ordinateur envoya une offre d'assistance sur le Réseau, à laquelle plusieurs vaisseaux, notamment les corvettes ne bénéficiant que de très peu de stock, répondirent. Leurs assaillants s'ajoutèrent aux cibles à abattre, et de nouveaux MAM fusèrent du croiseur, cette fois-ci dirigés vers des objectifs plus lointains.

    À force de lancements, les réserve du croiseur furent vidées. L'IA activa alors les tourelles qui composaient le Letzte, la défense de la dernière chance. Composé d'un réseau d'autocanons, ce système espérait noyer les missiles ayant eu l'audace d'esquiver les MAM sous un déluge de billes d'acier afin de les détruire.

    Les fusées anti-missiles se précipitèrent avec toute la vélocité que pouvait leur conférer leur propulseur chimique sur des cibles distantes de plus d'une dizaine de milliers de kilomètres. L'absence de frottement leur permettait d'adopter un comportement particulier, n'allumant leur réacteur que par intermittence afin d'économiser du carburant. Enfin, guidées par les réflexions des radars émis depuis les bâtiments, elles arrivèrent à moins de cinq cent mètres des assaillants. Leurs ogives détonèrent alors, prenant dans leur explosion le missile visé. Le système MAM remplit relativement bien son rôle, en détruisant près de soixante pourcents de ses cibles. Hélas, cela signifiait que le Letzte devait toujours se charger de douze torpilles. Un mur de billes d'acier se dressa entre les deux groupes de vaisseaux.

    Trop petits pour être repérés par les détecteurs, les obus n’apparaissaient pas sur les hologrammes tactiques, donnant ainsi l'impression que les engins en approche explosaient d'eux-même, sans raison, en plein milieu du vide. Mais les munitions n'étaient pas illimités, et les missiles trop nombreux. Lorsque ceux-ci ne furent plus qu'à deux cent cinquante kilomètres des vaisseaux archiducaux, ces derniers lancèrent dans un geste désespéré leurs leurs leurres. Ils explosèrent à la manière d'un feu d'artifice, dispersant des larges nuages de paillettes d'aluminium chaud, créant des douzaines de cibles factices. Les vaisseaux en formations débutèrent des manœuvres d'évitement, sorte de danse stylisée entièrement laissée au bon vouloir des ordinateurs – aucun barreur humain n'ayant les réflexes pour esquiver correctement un croiseur de neuf cent mille tonnes arrivant droit sur son bâtiment.

    Conséquence de ces manœuvres, sublimées par l'usage des leurres et des brouillages actifs, l'image qu'affichait le répétiteur tactique de Von Rösch était absconse. Là où se trouvaient de simples points pour désigner les astronefs archiducales il n'y avait plus que des sortes de nuages sans forme. Seuls les missiles restaient constants, symbolisés par des Λ accompagnés d'une ligne précisant le vecteur de trajectoire et la vitesse. Les poursuites cinétiques du vaisseau en hachèrent encore un, réduisant à deux le compte de missiles l'ayant prit comme cible.

    Un autre, bien trop près du Von Rösch pour le confort de son équipage, fut détruit par le Letzte, faisant détonner sa charge utile. L'explosion résultante illumina – et irradia – les environs, mais faute d'air pour transmettre l'onde de choc, aucune répercution ne se fit sentir à bord du vaisseau. Le dernier, hélas, impacta pleinement.

    Le sous-lieutenant Osterhaus fut projeté sur cinq mètres, et s'écrasa sur une console lidar. La seule chose qu'il vît fut un mur de flammes orangées passer par dessus lui. Ensuite vinrent les bruits. Le tonnerre de l'explosion. Puis les cris. La cloison arrière de la Passerelle avait proprement disparue, remplacée par une masse enflammée. Les hommes, à quelques mètres seulement, étaient en feu, chancelant et criant sous ses yeux. Osterhaus n'eut d'autre pensée que la fuite. Il visa la porte étanche, dont le voyant vert tremblotant indiquait la présence d'un compartiment pressuré derrière. Elle s'ouvrit miraculeusement sous sa main, et il couru vers tribord. Les systèmes de gestion de l'incendie du vaisseau était déjà enclenchés, le douchant sous une mousse ignifuge. Sa peau le brûlait lorsqu'il émergea sur un hangar, les cheveux et l'uniforme roussis. Un matelot dirigea sur lui le jet d'une lance à incendie qui faillit le renverser.

    « La Passerelle est en feu ! », glapit Osterhaus.
    « Qu'est ce qui ne l'est pas ?! » lui cria le marin en couvrant le bruit de la lance.

    Osterhaus jeta son dévolu le poste de gestion des dégâts le plus proche. Sur l'affichage intermittent de ce dernier, le diagramme du vaisseau indiquait toutes les avaries relevées par les systèmes de bord. L'affichage était emplit d'annotations rouges. Le Sous-Lieutenant tapa une commande, changeant l'image pour une vue du circuit de caméra intérieures, puis extérieures. Ce dernier s'afficha juste alors qu'une explosion titanesque éclairait l'espace par bâbord arrière. Miséricorde, pensa-t-il, c'est là que se trouvait le Prestigieux !

    « Dégagez l'passage ! », lui aboya un pompier, tandis qu'un autre homme émergeait des coursives.
    « Osterhaus, vous allez bien ? » Il s'agissait du Major Werthner, le second du vaisseau. Sa veste était arrachée et son torse entaillé par de multiples coupures.
    « Oui, Monsieur.
    - Parfait. Allez sur la Passerelle, dites-leur de garder la barre à tribord, et de faire une seconde passe !
    - J'en viens, Major ! Elle a été entièrement détruite ! »
    Werthner jura, avant de redemander :
    « Et le Capitaine ?
    - Je ne sais pas, ça crame comme tous les diables !
    - Bon, on a pas le temps pour ça, courez au poste auxiliaire et voyez si vous pouvez trouver quelqu'un, ou prendre la barre vous même. Allez ! » Le Second couru ensuite en direction du Pont de Contrôle Aérien. Osterhaus prit la direction opposée, s'embringuant dans des coursives rendues glissantes par la mousse anti-incendie, sans prendre garde à où il mettait les pieds. Il arriva finalement devant la porte du poste auxiliaire après être tombé plusieurs fois dans les étroits escaliers qui y menaient. Les dégâts semblaient avoir été contenus. Il entra, toujours en courant.

    « Le Major dit de garder la barre à tribord et de faire une seconde passe ! », haleta-t-il.
    « Vous croyez qu'on fait quoi ? », répliqua sèchement l'officier de quart. « Comment va le Major ?
    - Il est vivant. Il est au Pont de Contrôle Aérien, à gérer les incendies.
    - Et vous, vous venez d'où ?
    - De la Passerelle.
    - Vous êtes un sacré veinard. L'oiseau a frappé à cent mètres de vous. Quelqu'un d'autre s'en est sorti ?
    - J'saurais pas dire, mais tout était en train de flamber par là-bas.
    - Vous en avez eu votre compte, visiblement ».
    Osterhaus avait l'impression de s'être rasé avec un bout de verre. Ses sourcils tombèrent lorsqu'il se passa la main sur le visage.
    « Je m'en sortirai ».

    ***


    Oublieux des volées de missiles, les quelques milliers de kilomètres séparant les deux flottes étaient chargés de projectiles, du plasma encapsulé par des champs magnétiques aux simples obus métalliques. Ces boulets filaient à une telle vitesse qu'il ne leur fallait que quelques fractions de seconde pour parcourir le gap entre les deux formations, laissant libre court à une furie explosive illuminant l'espace.

    Tous les tirs ne trouvèrent pas leur cible, bien entendu : viser une zone large de quelques secondes d'arc, le tout en se déplaçant à plusieurs centaines de kilomètres par seconde, relève de la gageure même pour les systèmes de visée modernes. Les tirs archiducaux se perdaient dans l'espace profond, où ils finiraient, peut-être, par toucher quelque chose d'ici quelques éons ; mais les bordées zetrannes n'atteignant pas leur objectif allaient directement s'écraser sur la planète défendue. L'atmosphère se parait de multiples traits cramoisis.

    Des débris commencèrent à voler en tous sens, n'étant que plus dispersés par les diverses déflagrations ayant lieu un peu partout au travers du champ de bataille. Impossibles à détecter individuellement au radar, mais munis d'une vélocité terriblement importante, ils ne faisaient qu'ajouter au chaos ambiant.

    L'un de ces débris heurta la coque d'une des frégates – l'Archiducale Transcendance – sans que la défense de point ne puisse l'arrêter. Sa formidable énergie cinétique fut, lorsque sa vitesse se réduisit brusquement à zéro, entièrement transformée en énergie thermique. Les alliages et céramiques de qualité militaire résistèrent quelques secondes à l'afflux massif de chaleur avant de se vaporiser sur plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur. La dilatation provoquée dans les structures survivantes, couplée à la pression des gaz de métal cherchant à s'échapper, fit violemment trembler le bâtiment.

    Le Quartier-Maître Seconde Classe Thalberg se trouvait dans une coursive extérieure, directement sous la couche de blindage. Il se mouvait dans un parfait silence – tous les compartiments à fort risque de brèche étant dépressurisés – en rejoignant un des terminaux de contrôle de tir auxiliaire. Son but était des plus simple : savoir pourquoi une des tourelles cinétiques de troisième rang s'était tue, alors que le système de contrôle des dégâts n'indiquait pas d'anomalie ; mais l'urgence de la situation le faisait courir dans cet étroit couloir, prenant garde à ne pas frapper sa tête contre un tuyau courant au plafond. Il haletait dans sa combinaison étanche, créant une légère condensation sur la visière. Le choc de l'impact le renversa et à l'intérieur de son casque mal mit par précipitation, sa tête heurta rudement une paroi non recouverte de mousse. Il perdit connaissance.

    Lorsqu'il retrouva ses esprits, à peine deux minutes plus tard selon l'horloge intégrée à sa visière, son premier réflexe fut de se frotter l’occiput ; opération rendue bien évidemment impossible par la présence de sa combinaison. Lorsqu'il prit conscience de la vision qui s'offrait à lui, il cru être encore en train de délirer des suites de ce trauma, et donna un grand coup de pied dans un bout de métal qui traînait devant lui. La douleur, à peine atténuée par les épaisseurs de polymères protecteurs, le fit vite revenir à la réalité, et il fixa, bouche bée, le trou béant qui s'ouvrait désormais non loin de lui. Tranché en plein cœur, le blindage laissait apparaître ses nombreuses couches constitutives, tandis qu'au fond de ce trou pointait un carré de ciel noir. Un sirène hurla dans son casque, et il porta par réflexe une main à l'oreille avant d'y répondre. La voix sévère du Premier Maître Delal l'assaillit.

    « Bon sang Thalberg, mais qu'est ce que tu fous ?!
    - Je... l'impact... », bafouilla l'intéressé. « Y'a une sacrée grande brèche près de moi !
    - J'étais pas au courant dis donc ! », rétorqua-t-il avec suffisamment de sarcasme pour décoller deux ou trois lés de tapisserie. « C'est pas l'important ! Ce qui compte, c'est que tu magnes tes fesses et que tu me dises pourquoi cette fichue tourelle marche plus !
    - Tout de suite, Patron ! »

    Hélas pour le Quartier-Maître, il n'eut pas le temps de faire cinq pas qu'un trait de plasma s'écrasa contre le Transcendance. Les éclats volèrent en tous sens, et l'un d'entre eux trouva son chemin à travers la brèche, trouvant le fond au moment où Thalberg passait. Le bout de métal ne fit que le frôler, et il ne le remarqua que lorsque qu'il rencontra le mur derrière lui. Il n'y prêta qu'une attention fort limitée, préférant continuer sa course vers la console de tir.

    Il mit bien longtemps à se rendre compte de ce qui n'allait pas. Un léger bruit, une sorte de sifflement, à la limite de l'audible... mais impossible de savoir exactement de quoi il s'agissait. Quand il fit enfin le rapprochement, son visage blêmit sous le casque et il se mit furieusement à palper sa combinaison : le débris, en le passant, avait perforé son unique protection. Les chances qu'il parvienne à la localiser l'anicroche et à la colmater – ne serait-ce que temporairement – avec sa main étaient quasiment négligeables. Résistant pour ne pas céder à la panique, il rappela son chef de section. Ce dernier répondit avec son affabilité coutumière

    « Qu'est-ce qu'il y a, tu t'es perdu ou quoi ?
    - C'est pas le moment de déconner, Patron ! ». Thalberg criait presque. « J'ai une putain de rupture d'étanchéité dans ma combi !
    - Oh bon sang ! ». La voix de Delal était d'un seul coup devenue blanche. « Tu sais où elle est ?
    - Même pas ! ». Il criait, cette fois. « Bordel, je sais même pas où elle est !
    - Reste clame, petit, reste calme. T'es dans une coursive extérieure, tu dois pas être loin des capsules de sauvetage », poursuivit-il d'un ton qui se voulait bienveillant. « Regarde sur ton plan !
    - Oui... oui ». Le Quartier-Maître était à deux doigts de craquer et de se mettre à hurler. Il se contint toutefois, ouvrant le plan du pont sur lequel il se trouvait dans sur son écran virtuel. Il y avait bien des nacelles de survie à son étage, mais elles n'étaient pas particulièrement à côté de lui : dans un bâtiment de plusieurs centaines de mètres de long, les coursives ont tendance à être notablement étendues. Il commença à courir, cherchant à prendre la fuite de vitesse.

    Cent cinquante mètres plus loin, à la Passerelle, le Capitaine Schwegler était en pleine gymnastique mentale, prévoyant les manœuvres à venir. Il n'était pas au courant de la situation du Quartier-Maître Thalberg, ayant déjà bien assez de soucis sans devoir s'occuper de chaque cas individuellement.

    « Rotation par bâbord, cent quatre-vingts degrés ». La voix du Capitaine trancha par dessus le brouhaha constant de la Passerelle. Le barreur, suivant son ordre, bougea une manette, et l'agile frégate pivota sur son axe longitudinal afin de présenter un flanc non entamé au feu. Ce mouvement ne s'était qu'à peine senti à l'intérieur, grâce aux inhibiteurs inertiels et à la gravité artificielle. Les tourelles se retournèrent et rouvrirent le feu, crachant une marée de plasma sur l'ennemi. Un des écrans, placé de sorte à être visible par tous, précisait l'état des stocks d'hydrogène – le combustible fusionnant, celui qui formait véritablement le projectile. Le chiffre indiqué descendait avec une vitesse alarmante ; mais le moment n'était pas à l'économie.

    Thalberg, comme nombre d'hommes d'équipage embringués dans les coursives, ne se rendit pas compte que le vaisseau s'était retourné sur lui même. Et quand bien même il eut accès à cette information, il n'en aurait pas fait grand cas : tout son être était maintenant voué à la course désespérée pour atteindre une capsule de survie. Son souffle était court et sa vue de plus en plus trouble, le manque d'oxygène se faisant à chaque instant plus ressentir. Il fut obligé de ralentir, de se tenir à la paroi.

    Il était déjà trop tard lorsque l'équipe de secours envoyée par le Premier Maître Delal arriva sur les lieux avec un sas portatif et une combinaison neuve.

    ***


    Loin sous le Palais des Murmures, à l'abri dans un bunker souterrain, l'Archiduc et son Conseil assistaient, impuissants, à la dévastation qui prenaient place en orbite. Leur dernier espoir était représenté par une lueur émeraude sur l'hologramme occupant le centre de la pièce : le canon en était à ses ultimes ajustements, et les zetrans – correctement retardés par les vaisseaux qui leur furent donnés en pâture – approchaient de leur insertion orbitale avec un timing parfait. La défense orbitale au plasma allait pouvoir les annihiler alors qu'ils seraient encore en pleine phase de poussée. Le Maréchal semblait se réjouir de la correcte exécution de son plan, oublieux voire – dans la plus pure tradition aristocratique – indifférents aux multiples pertes qu'il impliquait. L'Archiduc était, au contraire, empli d'une détresse qu'il ne camouflait qu'à grand peine.

    « Rappelez-les, bon sang ! », lança-t-il au militaire. « Nous les avons assez retardés comme cela !
    - Ah, hélas Sire », répondit l'intéressé avec désinvolture, « je crains que cela ne soit, certes pas impossible, mais tout à fait inutile. Voyez-vous, ces chiens zetrans ne rompront la poursuite sous aucun prétexte. Replier nos bâtiments ne ferait que déplacer le combat, avec l'éventuel risque de faire échouer notre plan.
    - Mais...
    - J'en suis, croyez-le, le premier attristé », poursuivit l'homme d'un ton clamant l'exact contraire, « mais c'est ainsi que vont les choses ».

    L'Archiduc ne répondit pas, préférant plonger son regard dans un des écrans transmettant un compte-rendu de la bataille depuis la corvette Glorieuse, prise depuis le fauteuil de son commandant, le Capitaine Lüthi.

    ***


    « Impact ! », cria un lieutenant de quart, d'une façon tout à fait superfétatoire : le choc ayant ébranlé violemment le bâtiment, tout le monde en était déjà informé. « Perforation sur bâbord avant bas, nous avons perdu Lidar Un, Gewehr Deux et Trois, Missile Quarante-trois à Cinquante-deux ! », s'empressa-t-il d'ajouter.

    Le Capitaine Lüthine répondit que par une grimace. La Glorieuse subissait un intense pilonnage, et il ne lui restait qu'un seul canon pour répliquer. La corvette trembla une nouvelle fois, et la lumière s'éteignit. L'éclairage rouge du système d'urgence prit rapidement le relais, baignant la Passerelle dans une lueur sanglante. Seules restaient les consoles de chaque poste, avec leurs fidèles écrans plats. Ce qu'ils affichaient était bien peu réjouissant.

    « Perte de... de... Perte de Gewehr Quatre », annonça le lieutenant à regrets.
    « Bien noté », répondit Lüthine d'un ton neutre. « Poursuivez les manœuvres d'esquive ».

    Le barreur n'eut le temps de mettre ces ordres en application. Un maser de haute puissance venait de frapper – encore – l'astronef, traversant une demi-douzaine de compartiments comme s'ils étaient en papier. Quatorze hommes et femmes ayant le malheur de se trouver sur son passage furent proprement vaporisés alors que le faisceau coupait à travers deux magasins d'artillerie, le réfectoire avant, et la réserve de pièces détachées. Il ne s'arrêta hélas pas là, tranchant profondément jusqu'à perforer les cloisons blindées de la Passerelle. Des plaques de titane se désagrégèrent, et Lüthine ferma précipitamment son casque alors que l'air s'échappait bruyamment par l'ouverture béante. Sa combinaison se pressurisa, le protégeant du vide en train de s'installer. Certains de ses hommes avait été moins chanceux. Le lieutenant Arendt n'eut même pas le temps de crier : l'impact avait réduit de grands panneaux de blindage en fragments, et une de ces échardes d'acier volantes l'avait décapité dans une fontaine écarlate avant de réduire sa console en un tas de circuits en ruine crachant quelques étincelles. Deux de ses subordonnés moururent tout aussi rapidement. Le Sous-Lieutenant Nurh, debout au moment du choc, ne put être protégé par le harnais de son fauteuil, et s'envola directement à travers l'air raréfié jusqu'à rentrer violemment dans un mur, paralysé. Il mourut, asphyxié et les capillaires bouillis, avant que quelqu'un ne puisse l'atteindre et fermer son casque.

    Lüthine balaya la Passerelle du regard. De la fumée et des étincelles s'échappaient dans le vide à mesure que la console d'Arendt se consumait. Il remarqua la façon dont son officier radar, le Lieutenant Kleiber, se tenait la poitrine à travers sa combinaison. L'officier se pencha sur son fauteuil, le visage gris, une bulle de sang à la narine.

    « Infirmerie, faites monter quelqu'un ! » cria le Capitaine dans l'intercom, se forçant à détourner le regard.
    Il tenta de se masser les tempes, oubliant qu'il portait le casque de sa combinaison. Sa situation était désespérée. Il était dans l'incapacité de tirer, la moitié de ses compartiments prenaient le vide, Fusion Deux avait dû être arrêté en urgence, et il peinait à esquiver ne serait-ce qu'une partie des tirs le visant.

    Une nouvelle explosion le sortit de ses réflexions en l'envoyant sur sa console. Son casque amorti le choc, heureusement, mais tout son équipage n'avait pas eu cette chance. Il fallait faire quelque chose... mais quoi ? Il reporta son attention sur sa console, affichant l'état actuel du bâtiment. Sa Glorieuse était en bien piètre état. L'affichage était recouvert d'indicateurs rouges ou orange.. ou presque. Il fut attiré par une diode verte. La propulsion semblait encore être pleinement opérationnelle. Une idée commençait à germer dans son esprit.

    « Contact ! », signala le radariste – ou plutôt son remplaçant – d'une voix claire bien que distordue par l'intercom. Tous les regards se tournèrent vers lui. Les lasers étaient indétectables, et les projectiles classiques trop petits pour être notés. Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose. « Plasma à haute densité. Impact imminent ».

    Seul l'armement plasma était suffisamment énergétique pour que la chaleur de ses projectiles rayonne avec assez de force pour être vue par les capteurs des vaisseaux. Hélas, lorsque l'arrivant est détecté, il ne reste souvent pas assez de temps pour esquiver.

    « Rotation d'un quart sur bâbord, axe transversal ! », ordonna rapidement Lüthine dans le but de présenter un flanc un peu moins détruit à l'assaillant. Les poussifs réacteurs firent leur maximum, puisant les dernières gouttes de carburant dans les rares réservoirs n'ayant pas été perforés. Les boulets de plasma, flamboyants dans toute leur splendeur, illuminant leurs alentours d'agressives nuances de bleu violacé, n'étaient pas guidés et n'avaient aucune idée du changement de profil qu'opérait la Glorieuse. Cela importait peu.

    Des gerbes de matière surchauffée jaillirent dans le silence de l'espace, suivies par des flammes lorsque l'atmosphère des derniers compartiments encore pressurisés s'enflamma en fuyant par la brèche nouvellement créée. Un observateur attentif aurait pu également remarquer les petites silhouettes l'accompagnant, malheureux membres d'équipages aspirés par le souffle.

    Bien que vacillantes, les lumières rouges se rallumèrent sur une Passerelle en ruines, la plupart de ses occupants morts, des gerbes d'étincelles fusant de certaines consoles, quasiment tous les circuits hors ligne. Le Capitaine Lüthine, bien que secoué, était en vie. Une vive douleur l'élançait dans son bras, probablement cassé, mais il était encore en vie. Il grogna en constatant que sa console était inutilisable. Il essaya d'enlever son harnais, grimaçant lorsque son bras rencontra un peu trop brutalement son accoudoir. Il regarda tout autour de lui, et ne vit que mort et désolation. Il ne lui restait qu'une seule chose à faire. Il se força à sortir de son siège, et se traîna vers la console de contrôle des dégâts, surprenamment encore active. Luttant contre une gravité artificielle défaillante l'allégeant parfois avant de le plaquer brutalement au sol, marmonnant une vieille chanson de l'École Archiducale Navale – prétendant que « Un capitaine sauf quand c'est mort, ça doit commander les troufions » – pour oublier les alarmes du médipac de sa combinaison l'informant que sa fracture était ouverte et que l’hémorragie en découlant n'allait pas tarder à l'achever, il parvint devant le poste. L'indicateur des propulseurs était orangé. Tant pis, il devrait faire avec. Il tapa quelques commandes, s'authentifia plusieurs fois, demanda des choses pour lesquelles ce relais du Central Contrôle des Dégâts n'avait pas été prévu pour, et fini enfin par verrouiller les systèmes de guidage sur un croiseur ennemi. Il rampa encore un peu, s'agrippant à tout ce qu'il pouvait pour parvenir au poste de Navigation. Dans un dernier effort, il empoigna un levier couramment désigné comme « Manette des gaz », et le poussa au maximum avant de s'effondrer.

    La Glorieuse, puisant à l'image de son Capitaine dans ses dernières réserves, se lança vers la cible lui ayant été désigné. Des cônes d'ions luminescents chapeautaient les massifs réacteurs principaux, accélérant le bâtiment à des vitesses rarement trouvées sur les théâtres d'opération. Le grille de défense du croiseur visé fit bien entendu feu, mais ses laser avaient été dimensionnés pour des missiles et des chasseurs, pas pour une carcasse de corvette animée d'une célérité déraisonnable.

    Véritable preuve que les tactiques les plus anciennes, dont fait partie l'éperonnage, fonctionnent toujours, la Glorieuse dans son chant du cygne détruisit un monstre blindé de six fois sa taille.

    ***


    Wilhem-Gregor von Leistung, sixième du nom, Archiduc de Breguen, Archiduc de Nassau, glapit comme l'enfant qu'il n'était plus vraiment lorsque l'icône symbolisant le dernier des vaisseaux en défense s'éteignit. Le silence se prolongea, choc mâtiné de respect, jusqu'à ce qu'une nouvelle alarme ne retentisse. Sa tonalité, différente des précédentes, annonçait un message entrant qui résonna bientôt à travers la salle.

    « DO Plasma à QG Erhaben, DO Plasma à QG Erhaben. L'ennemi entrera dans notre enveloppe dans sept secondes ».

    Le silence se poursuivit, anxieux cette fois. Les points rouges symbolisant la flotte ennemie se mouvaient non sans grâce, rejoignant le point d'inflexion de leur trajectoire. Tous les yeux étaient rivés sur cet unique point vert, paré à tirer.

    Plusieurs centaines de kilomètres plus haut, un silence similaire régnait à bord du canon, uniquement troublé par le ronronnement lointain des systèmes de survie. Le Poste de Commande des plasmas orbitaux était plus sobre que les Passerelles que l'on pouvait trouver à bord des vaisseaux. Bâti autour du réceptacle à photopiles, il n'abritait qu'un petit nombre de consoles. Les échos de l'annonce ne s'étaient pas encore tus que les hommes présents s’affairèrent. Dans la mesure où le système était presque entièrement automatisé, leur rôle était cependant des plus réduit, n'ayant qu'à entrer quelques commandes et à surveiller leur correcte exécution.

    En l'occurrence, la cible étant déjà pointée, la seule commande à insérer était celle de tir. Cette dernière était contrôlée par un bouton d'un rouge proverbial, abrité derrière un capuchon de plastique transparent. L'opérateur référent tourna une clef, qui fit se relever la protection. Il inspira profondément, avant de frapper le bouton de son poing.

    Il ne fallut que quelques instants aux ordinateurs du bâtiment pour détecter, analyser et comprendre ce que signifiait cette fermeture de circuit électrique : des modules de confinement gravitaire contenant le plasma dans son état de fusion au sein de la chambre de réaction se désalignèrent un bref instant, suffisant pour projeter quelques gouttes de matière le long de l'axe du tore. Poussées par le module de contrôle, ces gouttes furent ionisées avant d'être conduites dans un accélérateur électromagnétique à spires. Celui-ci courrait sur toute la longueur de l'engin, soit presque huit kilomètres. Quand les gouttes en sortaient, quelques millisecondes après leur injection, elles étaient animées d'une vitesse relative de deux mille cinq cent kilomètres par seconde.

    Ainsi, un nuage d'un millier de projectiles surchauffés emplit l'espace, se mouvant à une extrême vélocité. Parler de massacre pour rendre compte de ce qui suivit serait faire preuve d'un bien grand usage d'euphémisme. Traversant la formation assaillante comme un couteau du beurre, les projectiles palsmiques fusionnèrent les coques, détruisirent les blindages, et lorsqu'ils étaient enfin stoppés, leur énergie cinétique se transformant brusquement en énergie thermique venait s'ajouter aux dégâts du plasma en lui-même.

    ***


    Sans toutefois parler d’exubérance, il eut un enthousiasme certain dans le bunker à l'annonce de la destruction totale et absolue de la flotte assaillante. Du soulagement chez l'Archiduc, de la suffisance chez le Maréchal, mais chez tous, la satisfaction d'avoir détruit, contre toute probabilité, l'un des plus puissants vaisseaux de la galaxie. Leurs réjouissances furent hélas de courte durée. Les senseurs planétaires, une fois le voile des multiples explosions évaporé, détectaient encore seize bâtiments. L'Archiduc blêmi en voyant leur désignation. Les transports. Les troupes d'assaut.

    « Maréchal... », fit-il d'un voix blanche
    « ...certes », ne put que lui répondre l'intéressé qui, déjà, tentait de joindre ses subordonnés à la surface. Il était hélas trop tard pour une quelconque réaction. Les radars détectaient déjà les échos des barges de descente fusant à travers l'atmosphère, tandis qu'à travers les villes et les campagnes les forces de défenses prenaient leurs positions retranchées. Grâce à la mobilisation générale commandée par l'Archiduc dès les premiers signes de l’incursion zetranne, trois cent trente mille hommes avaient été appelés sous les drapeaux, rejoignant les deux cent soixante-quinze mille des forces régulières – dont cinq divisions de véhicules blindés. Contre des troupes assaillantes deux fois plus nombreuses et largement mieux équipées. Des troupes endoctrinées, prêtes à tout détruire pour récupérer quelques ressources.

    Le massacre fut à la hauteur de celui déjà imposé en orbite, et les troupes zetrannes repartirent incontestées. Elles emportèrent avec elle des millions d'unités de tritium, cinquante précieuses photopiles, et la dignité du Maréchal – qui fut promptement, au lendemain de la bataille, démis de ses fonctions. Pour l'Archiduc cependant, tout n'était cependant pas perdu. Les ruines des bâtiments d'Espen seraient extrêmement profitables, mais ce n'était pas là le plus grand gain. À ses yeux comme à ceux de la propagande d'état, le sacrifice des braves spatiaux d'Erhaben faisaient de la Flotte Archiducale la première puissance à avoir détruit un croiseur lourd, et ce à travers l'entière galaxie. Des vaisseaux battant le pavillon de Breguen-Nassau avaient assurés la gloire et la renommé de leur Patrie sur la scène politique.
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